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Le hussard

Le hussard

Titel: Le hussard Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
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lui
croiserait les bras sur la poitrine, ses amis rassemblés autour de lui
verseraient des larmes et le porteraient sur leurs épaules jusqu’à sa dernière
demeure, un rayon de soleil éclairant sa face recouverte d’un masque plein de
dignité, fait de poudre et de sang, comme cela revenait de droit à tout bon et
loyal soldat.
    Il découvrait maintenant que cela pourrait très bien ne pas
se passer ainsi. Ces corps gisant dans la fange provoquaient en lui un étrange
serrement de cœur, une angoissante sensation de solitude infinie sous la
lumière grise de la matinée. Et à la pensée qu’une mort comme celle-là pouvait
lui être destinée, Frédéric sentit monter dans sa poitrine un chagrin très profond.
    Le retour à l’escadron dissipa ces lugubres pensées. Il
retrouvait la sécurité des visages connus, de la troupe nombreuse et
disciplinée sous le commandement de chefs responsables et expérimentés,
connaissant leur métier, accoutumés à voir des hommes morts dans la boue.
C’était comme revenir dans le monde des vivants et des forts, où tout sentiment
était collectif et se transformait en foi aveugle dans la victoire, en
assurance indestructible fondée sur la conscience de leur puissance.
    Il informa Berret et Dembrowsky de la situation dans le
village, en se bornant à parler des troupes qui l’occupaient et de
l’escarmouche du bois. Il ne dit rien des cadavres du chemin, ni du soldat mort
dans la rue, ni des blessés du muret. Tandis qu’il contemplait les faces
impassibles de ses supérieurs, derrière lesquels s’alignaient les rangs solides
de l’escadron, il sentit que ces scènes s’effaçaient dans son esprit comme un
mauvais rêve, pour finir par disparaître complètement.
    En reprenant sa place dans les rangs, il échangea un salut
avec Bourmont qui agita la main avec un sourire de sympathie. Le hussard aux
favoris noirs rapportait à ses camarades les détails de leur incursion dans le
village.
    — Vous auriez dû voir le sous-lieutenant… racontait-il
à mi-voix, sans s’apercevoir que l’intéressé était tout près et l’entendait. Il
avançait au milieu de la rue, bien droit sur sa selle, et quand je lui ai dit
qu’il pouvait se faire moucher par une balle, c’est tout juste s’il ne m’a pas
envoyé au diable. Une tête carrée d’Alsacien, voilà ce qu’il est… Pas trop mal,
pour un blanc-bec !
    Frédéric rougit de fierté et laissa errer ses yeux sur la
campagne couverte d’oliviers et d’amandiers. Le ciel chargé semblait vouloir
s’éclaircir à l’horizon, comme si le soleil se battait pour se frayer un chemin
dans la couche de nuages.
    Le trompette sonna un ordre et l’escadron partit au trot,
laissant le village sur sa gauche pour pénétrer dans des champs que personne ne
cultivait plus depuis des mois. Ils chevauchèrent environ une lieue et,
bientôt, ils commencèrent à apercevoir des troupes. Ce fut d’abord une
compagnie de chasseurs qui marchait sur le chaume d’un ancien champ de maïs.
Puis ils virent plusieurs pièces d’artillerie dont les attelages étaient lancés
au galop et qui cahotaient en traversant les friches. Finalement, ils
dépassèrent un peloton de dragons qui allaient au pas, les brides lâches, l’air
fatigué et les carabines à l’arçon. Venant de l’autre côté de collines proches,
on entendait des décharges de mousqueteries, scandées par des coups de canon.
    L’escadron s’arrêta pour faire boire les chevaux dans un
ruisseau qui coulait entre des rives marécageuses et couvertes d’arbustes. Le
commandant Berret s’éloigna avec le capitaine Dembrowsky, le lieutenant Maugny,
le porte-drapeau Blondois et le trompette-major ; tous quatre montèrent
sur un tertre voisin. Un autre escadron du régiment était visible, immobile, et
ses chefs se tenaient sur le tertre où, probablement, s’était établi
l’état-major du 4 e  hussards. Le colonel Letac devait être
là-haut, ou non loin, auprès du général Darsand.
    Frédéric mit pied à terre et laissa Noirot plonger librement
ses naseaux dans les eaux troubles du ruisseau. La pluie ne tombait plus, et le
vent de la cavalcade avait un peu séché les uniformes des hussards, qui se
dégourdissaient les jambes en échangeant des suppositions sur ce qui se passait
de l’autre côté de la crête, là où la bataille principale semblait avoir
commencé. Frédéric sortit sa montre de sa poche : les aiguilles
indiquaient un peu plus de

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