Le hussard
éclaireurs étaient les
estafettes de la cavalerie ; ils sillonnaient le champ de bataille en
portant des messages aux unités. Philippo le héla au moment où il passait près
d’eux.
— Du nouveau, soldat ?
Le hussard, un jeune homme aux nattes et à la
queue-de-cheval blondes, retint un instant sa monture.
— Le 4 e escadron vient de tomber sur un
parti de francs-tireurs à environ une lieue d’ici, annonça-t-il avec une pointe
de satisfaction dans la voix (il appartenait au 4 e ). Il y est encore
et taille les fuyards en pièces. Joli travail.
— Pas de quartier, murmura Bourmont avec un sourire
cynique, en regardant s’éloigner l’estafette.
Philippo arborait une mine réjouie.
— Pas de quartier, en effet. C’est l’avantage d’avoir
affaire à ces gens-là ; pas besoin de se fatiguer à garder des
prisonniers. Quelques coups de sabre, et hop !, la question est réglée.
Bourmont et Frédéric se montrèrent d’accord. Philippo riait.
— C’est curieux, commenta-t-il en prenant un air suffisant,
mais ce genre de guerre irrégulière, avec des bandes qui courent la campagne,
est le propre des peuples méridionaux.
— Vraiment ? demanda Bourmont en se penchant,
intéressé, vers le lieutenant.
— C’est évident, très cher !
Philippo aimait profiter de la moindre occasion pour se
prévaloir de son sang italien.
— Pour la guérilla, il faut faire preuve d’imagination,
d’initiative… Et même d’une certaine indiscipline. Vous imaginez un Anglais
guérillero ? Ou un Polonais comme le capitaine Dembrowsky ?…
Impossible ! Pour ça, on doit avoir le sang chaud, messieurs. Très chaud.
— Comme vous, mon cher, renchérit Bourmont avec une
ironie voilée.
— Parfaitement : comme moi. Au fond, je trouve que
ces maudits paysans armés d’escopettes ne sont pas de mauvais bougres. Quand je
les égorge, j’ai l’impression d’égorger mon père. Le brave homme était
méridional jusqu’à la moelle.
— Mais vous tuez plus de Français que d’Espagnols,
Philippo. Vous et vos fameux duels…
— Je tue ce qui se met en travers de mon chemin, répliqua
d’un ton sentencieux le Franco-Italien, un peu vexé.
Frédéric caressa la croupe de Noirot, qui le remercia par un
hennissement. Le ciel gris se reflétait dans l’eau du ruisseau, mais les nuages
s’étaient légèrement ouverts pour laisser percer des morceaux d’azur. Un rayon
de soleil éclairait les crêtes des collines voisines. Le jeune homme pensa que,
malgré la guerre, ou peut-être grâce à elle, le paysage lui semblait maintenant
très beau.
Il regarda le cheval de Bourmont en train de s’abreuver près
du sien, dans l’eau jusqu’aux jarrets. Pommelé, la crinière longue et la queue
taillée, sans être enlaidi par les taches de la croupe, il avait une allure
superbe. La selle garnie de peau de léopard était d’une beauté singulière. Elle
était hongroise, comme tout l’équipement des hussards : selle, bottes,
uniformes… D’ailleurs, le terme « hussard » était originaire de ce
pays. Quelqu’un avait raconté à Frédéric qu’il venait du hongrois húszar, qui
signifie « le vingtième ». Des siècles plus tôt, une recrue sur vingt
était affectée à la cavalerie. Telle avait été l’origine de la légendaire
cavalerie légère dont le style et les traditions avaient été adoptés par
presque tous les pays d’Europe.
Avec une parfaite désinvolture, Philippo leur demanda s’ils
avaient sur eux des cigares, en prétextant que son étui était dans la sacoche,
celle-ci sur le cheval et ce dernier au milieu du ruisseau. Bourmont défit
plusieurs boutons de son dolman et en sortit trois cigares. Ils les allumèrent
et fumèrent sans parler, en contemplant les éclaircies et les nuages qui
passaient au-dessus de leurs têtes.
— Je me demande, reprit Philippo au bout d’un moment,
dans combien de temps nous serons de retour à Cordoue.
Surpris, Frédéric le regarda.
— Vous aimez Cordoue ? Pour ma part, je trouve
cette ville trop chaude et trop sale.
— Les femmes y sont jolies, répondit Philippo, les yeux
rêveurs. J’y connais une merveille qui possède une chevelure de jais et une
taille à vous faire perdre la tête : même ce maudit glaçon de Dembrowsky
n’y résisterait pas. – De toute évidence, le capitaine polonais ne
jouissait pas de la sympathie du Franco-Italien. – Elle se prénomme Lola
et a des yeux capables de
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