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Le hussard

Le hussard

Titel: Le hussard Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
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bois où
s’effilochait la fumée de la décharge ennemie.
    Son esprit s’était vidé d’un coup. Autour de lui, les
hussards du peloton faisaient caracoler leurs chevaux afin d’offrir le moins de
prise possible aux tireurs embusqués, et tous avaient les yeux fixés sur lui,
comme s’il lui revenait de résoudre la situation. Tandis qu’il tentait de
comprendre ce qu’on attendait de lui, il se tourna, déconcerté, vers Dembrowsky
qui marchait loin derrière, et vit que celui-ci lui adressait des signes
énergiques en lui indiquant le petit bois.
    C’était donc ça. Le sang lui monta au visage ; il le
sentit battre avec violence à ses tempes. Il dirigea Noirot vers les pins en
l’éperonnant, sans s’attarder à vérifier si les hussards de son peloton le
suivaient. Tout en réduisant rapidement la distance qui le séparait des arbres,
il fit passer les rênes dans sa main gauche, dégaina son sabre, l’agita au-dessus
de sa tête et, de toute la force de ses poumons, lança un cri de guerre. Son
cerveau n’était plus qu’un voile rouge qui écartait toute pensée.
Instinctivement, il se ramassa sur lui-même, en se penchant sur l’encolure du
cheval comme s’il s’attendait à recevoir d’un moment à l’autre le plomb qui le
précipiterait à terre, la poitrine déchiquetée. Peut-être serait-ce mieux
ainsi. Dans un lointain recoin de son esprit où il conservait encore un soupçon
de conscience, la honte de s’être laissé surprendre l’aiguillonnait. Il sentit
une immense fureur s’emparer de lui, face à ce qu’il considérait comme un
déshonneur, et souhaita de toute son âme rencontrer sur son chemin un être
humain dont il pourrait fendre le crâne jusqu’aux dents.
    Il était déjà presque entré sous les pins. Noirot fit un
saut pour franchir un tronc abattu, et les branches aux aiguilles vertes
cinglèrent la face du cavalier. Le cœur battant furieusement, s’étouffant
presque de colère, il aperçut des ombres qui couraient entre les arbres. Il
planta derechef ses éperons dans les flancs de Noirot et se lança à leur
poursuite, en hurlant de nouveau son cri de guerre. Tout de suite, il rattrapa
l’un des fuyards ; il parvint à distinguer une veste brune, des mains
brandissant un mousqueton et un visage épouvanté qui se retourna, les yeux
écarquillés par la peur, pour voir la Mort qui se précipitait vers lui, montée
sur un cheval écumant, au bout d’un bras levé pour frapper, sur la lame d’un
sabre qui déjà s’abattait comme la foudre en un éclair meurtrier.
    Frédéric frappa sans cesser de galoper. Il sentit que le
sabre rencontrait sur son chemin quelque chose de dur et d’élastique à la fois,
et le corps du franc-tireur heurta d’abord sa jambe droite puis la croupe du
cheval. Il vit un autre homme courir un peu plus loin, entre les arbres.
Pendant qu’il éperonnait Noirot, le fuyard se lança dans une pente la tête la
première et disparut de sa vue. Frédéric évita comme il le put les branches qui
passaient comme des étoiles filantes tout près de sa tête et força son cheval à
dévaler la pente à son tour en freinant des jambes arrière, à la poursuite de
l’homme qui s’enfuyait. En arrivant en bas, il regarda autour de lui, mais
n’aperçut personne.
    Il tira sur les rênes tout en tentant de comprendre par où avait
filé le franc-tireur, et, à cet instant, un homme sortit des buissons et
déchargea son pistolet sur lui presque à bout portant. Frédéric, qui,
instinctivement, avait cabré son cheval en apercevant l’arme, sentit passer la
balle à quelques pouces à peine de son visage, tandis que la fumée de la poudre
l’enveloppait brièvement. En aveugle, il leva son sabre et lança Noirot sur son
assaillant qui fit un bond en arrière et se mit à courir. Il n’avait pas
franchi quatre mètres, quand un hussard surgit d’entre les pins, passa près du
franc-tireur et, d’un seul coup, lui trancha proprement la tête. Le corps
mutilé d’où le sang jaillissait à gros bouillons fit encore quelques pas avant
de rencontrer un tronc d’arbre, les mains tendues, comme s’il tentait de se
protéger du choc. Ensuite, dans une scène irréelle qui se teignit de rouge,
Frédéric vit le corps décapité tomber à la renverse sur la terre tapissée
d’aiguilles de pin sèches.
    Le hussard, un jeune homme aux nattes noires et à la longue
moustache, essuyait la lame du sabre sur la croupe de son cheval.

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