Le hussard
irrité.
— Dites-moi, Bourmont. Savez-vous que, parfois,
j’estime que vous dépassez les bornes ?
— Vous pouvez m’en demander réparation quand vous
voudrez, répliqua Bourmont avec le plus grand calme. Je suis à votre
disposition.
— Cazzo di Dio !
Frédéric crut le moment venu de s’interposer de nouveau.
— Voyons, ne nous emballons pas, dit-il sur un ton
conciliant. Réservons-nous pour les Espagnols.
Philippo ouvrit la bouche pour ajouter quelque chose, rouge
de colère, mais il surprit un clin d’œil furtif que Bourmont adressait à
Frédéric. Du coup sa fureur disparut comme par enchantement, et il éclata de
rire.
— Sporca Madonna, Bourmont, nous réglerons ça un
jour au sabre. Amusez-vous à vous payer ma tête, mon cher.
— Au sabre ? Et combien serez-vous ?
— Cazzo di Dio !
— Voilà qui suffît, intervint encore Frédéric.
Reste-t-il du cognac ?
Bourmont tendit sa flasque, et les trois hussards burent en
silence. Le lieutenant Gérard et le sous-lieutenant Laffont s’approchaient
d’eux.
— Vous avez vu l’éclaireur ? demanda Laffont, un
Bordelais roux et dégingandé, excellent cavalier et fort adroit au sabre.
— Oui, acquiesça Frédéric. Je crois que nous allons
faire mouvement.
— Il semble que le gros de la bataille se déplace vers
le centre de nos lignes, commenta Gérard, un vétéran aux longues nattes et aux
jambes arquées. Ça doit chauffer, là-bas.
Pendant un moment, ils échangèrent des conjectures.
Finalement, ils arrivèrent tous à la conclusion que personne n’avait la moindre
idée de ce qui se passait. Aux alentours, éparpillés sur la rive du ruisseau,
les hussards conversaient par groupes ou demeuraient silencieux près de leurs
chevaux, le regard perdu vers les collines. Le soleil ne parvenait pas à
déchirer entièrement la couche de nuages, et le ciel se refermait, couvrant
l’horizon d’ombres menaçantes.
Le capitaine Dembrowsky descendait du tertre et paraissait
pressé. Les officiers coururent à leurs montures, tandis qu’un murmure d’impatience
circulait dans l’escadron. Frédéric et Bourmont ramassèrent en hâte leurs
capotes et les attachèrent à leur selle. Pour rejoindre son cheval, Philippo
dut mouiller ses bottes.
Dembrowsky était déjà parmi eux, et le trompette sonnait le
rassemblement. Les hussards s’alignèrent en tenant les chevaux par la bride.
Frédéric enfonça son colback sur sa tête, se mit au garde-à-vous en tenant de
la main gauche son sabre dans son fourreau, et se dit que, cette fois, les
choses semblaient devenir sérieuses. Bourmont lui adressa un signe qui
exprimait sa satisfaction. Il pensait de même.
Lorsque le boute-selle retentit, les cent huit cavaliers
montèrent à cheval comme un seul homme. Il était curieux de constater que les
membres du régiment, si attachés au style indiscipliné de la cavalerie légère
quand ils se trouvaient loin de l’action, devenaient aussi précis qu’un
mécanisme quand ils s’en rapprochaient. Et c’était bien en machine de guerre
puissante, flexible et dévastatrice que cet esprit collectif les transformait,
face à l’imminence du combat.
— À moi, les officiers ! appela Dembrowsky.
Ceux-ci éperonnèrent leurs chevaux et se rassemblèrent
autour de lui.
— L’escadron va se diviser un moment, expliqua le capitaine,
en les regardant de ses yeux glacés. La 1 re compagnie escortera
un bataillon du 8 e léger, jusqu’à ce que celui-ci prenne
position pour marcher au feu devant le village situé de l’autre côté des
collines. La mission du 8 e est de s’en emparer et d’en déloger
l’ennemi, mais cela n’est pas de notre ressort. Dès que l’infanterie aura
occupé sa position, nous ferons volte-face et nous nous replierons sur le
vallon que vous voyez là-bas, où nous attendra la 2 e compagnie,
en selle et prête à entrer en action dès qu’elle en recevra l’ordre… Il est
possible que nous apercevions des cavaliers sur notre gauche, à la lisière du
bois. Ne vous en inquiétez pas, car il s’agira du 4 e escadron
de notre régiment, prêt à se lancer à la poursuite de l’ennemi dès que celui-ci
aura déguerpi du village… Compris ? Alors, en marche ! Colonne par
pelotons.
Frédéric occupa son poste, cette fois exactement au milieu
de la formation composée de quatre rangs de douze hommes chacun. Ils partirent
au pas et passèrent rapidement au trot dans les
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