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Le hussard

Le hussard

Titel: Le hussard Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
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Frédéric
chercha du regard la tête du franc-tireur mais ne la trouva pas. Elle avait
roulé dans les buissons.
     
    *
     
    Frédéric se sentait épuisé, comme si un escadron de
cuirassiers lui avait galopé dessus. Les hussards s’appelaient sous les arbres,
et ils se rassemblèrent en commentant avec animation les péripéties de
l’escarmouche. Quatre ennemis avaient été rattrapés et tués ; les hussards
ne faisaient pas de quartier, et encore moins quand il s’agissait de francs-tireurs.
Les Espagnols le savaient, et ils n’avaient même pas tenté de se rendre :
ils avaient été sabrés en fuyant ou en se défendant. Un Français, le hussard
aux longs favoris qui, quelques heures plus tôt, avait accompagné Frédéric dans
sa reconnaissance du village, chevauchait lentement entre deux camarades qui le
soutenaient sur sa selle. Il se cramponnait à la crinière de son cheval, plié
en deux par la douleur, le visage crispé et mortellement pâle. Il avait reçu un
coup de navaja dans le ventre.
    En sortant du bois de pins, Frédéric n’avait pas encore
entièrement repris ses esprits, et quand un hussard le félicita pour le coup
avec lequel il avait abattu le premier Espagnol – « Un coup de sabre
superbe, mon lieutenant… Vous l’avez presque coupé en deux » –, il
regarda son interlocuteur sans comprendre de quoi il parlait. Il ne pensait
qu’à ce qu’il allait dire à Dembrowsky quand celui-ci, avec son regard froid
comme de la glace, lui demanderait comment il s’était laissé surprendre aussi
stupidement en manquant à sa mission qui était de veiller sur la sécurité de la
colonne. Même si les assaillants avaient été poursuivis et tués, cela
n’effaçait pas le fait d’être tombé dans une embuscade.
    Ensuite, quand ils se furent réunis au reste de la colonne et
qu’il vit la manière dont les soldats de l’infanterie l’entouraient en poussant
des vivats, il se rendit compte qu’il tenait encore à la main le sabre nu et
que celui-ci, sa botte droite et la croupe de Noirot étaient tachés du sang du
franc-tireur. Il se dirigea vers Dembrowsky pour lui faire son rapport, et ce
dernier, au lieu de reproches, lui adressa un rapide sourire. Frédéric en resta
stupéfait : Dembrowsky lui avait souri ! Jusqu’à cet instant, il
n’avait pas pris conscience qu’il avait tué son premier ennemi au cours de son
premier combat. Et, soudain, il rougit de fierté.
     
    *
     
    Ils n’étaient pas si terribles, après tout. Il suffisait
d’un coup de sabre bien affilé pour que les rosaires et les scapulaires, les
mille et un saints qui remplissaient les églises de ce pays, le fanatisme
aveugle et la haine des étrangers hérétiques soient réduits à une flaque de
sang. Les formidables guérilleros, ceux qui avaient étripé Juniac, ceux qui
faisaient qu’en Espagne aucun Français n’osait se risquer seul en terrain
inconnu, se transformaient soudain en la vision fugace d’un visage défiguré par
la terreur, d’une tête qui sautait loin du tronc, de la sueur et de la peur, de
la respiration entrecoupée dans l’ultime course inutile, la Mort sur les
talons.
    Pourquoi s’obstinaient-ils à se battre ? Le combat des
Espagnols était sans espoir, absurde. Frédéric ne pouvait concevoir qu’ils
aient pris les armes pour défendre un prince dont ils ne savaient rien, dont
ils ignoraient jusqu’au visage, un couard sans courage ni volonté, hôte forcé
de l’Empereur, qui avait poussé l’abjection jusqu’à renoncer à ses droits
héréditaires, et que sa servilité envers le maître de l’Europe rendait indigne
de toute loyauté de la part d’un peuple qui n’était plus désormais le sien. Car
c’était un roi français qui régnait en Espagne, Joseph, auparavant roi de
Naples, un Bonaparte à qui le prince Ferdinand, de son exil de Valençay, avait
écrit une lettre pour le féliciter et lui prêter serment d’allégeance. Tout le
monde était au courant, y compris les Espagnols. Mais ils s’obstinaient à jouer
les ignorants.
    Frédéric se souvenait d’une conversation qu’il avait eue
quelques semaines plus tôt, lors de son passage à Aranjuez, quand, en sa
qualité d’officier allant rejoindre le régiment, il avait reçu un billet de
logement pour la résidence d’un noble espagnol, don Álvaro de Vigal. En
compagnie du pauvre Juniac, il avait passé une après-midi et une nuit dans le
palais vétuste dont le jardin donnait sur le

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