Le Japon
la poésie mais aussi la logique, la conception des fins dernières et même le cultedes dieux indigènes furent profondément imprégnés par le bouddhisme. Au bout du compte, l’empreinte du bouddhisme sera beaucoup plus forte au Japon qu’elle ne l’a été en Chine même ou en Corée.
Faute de document, il est très difficile de suivre la propagation du bouddhisme dans les couches populaires. Toutefois, dès le VIII e siècle, on voit des moines comme Gyôki porter secours aux populations des campagnes et leur faire connaître la loi bouddhique. Au x e siècle, le moine itinérant Kuya parcourait le pays en psalmodiant la formule de vénération au bouddha Amida. À la fin de l’époque de Heian, on peut considérer que toutes les couches de la population étaient entrées dans l’orbite du bouddhisme.
Cependant, l’espace du sacré a résisté à l’emprise totale de la culture chinoise. À la fin du VII e siècle, au moment où se cristallisa l’État régi par les codes, les sanctuaires d’Ise, situés au sud de l’actuelle Nagoya, commencèrent à être périodiquement reconstruits. On y vénérait principalement la grande déesse illuminatrice, Amaterasu Ômikami, considérée comme l’ancêtre de la famille impériale. Alors que l’on construisait désormais les bâtiments officiels selon les standards chinois, qui sauf accident comme les incendies leur assuraient une certaine pérennité, les sanctuaires d’Ise restaient couverts de chaume et leurs poteaux s’enfonçaient directement dans le sol. Ce choix de l’archaïsme pour la divinité ancestrale, garante de la légitimité de l’empereur, montre une des limites du prestige de la civilisation continentale.
D’une manière générale, le culte des dieux autochtones (on parlera de shinto à partir du XIII e siècle) n’aurait pas dû pouvoir rivaliser avec le bouddhisme riche de rituels raffinés, de spéculations de haut niveau, et surtout d’un appel à l’élévation mystique. Pourtant, malgré unepénétration du bouddhisme et l’interprétation des dieux selon un schéma bouddhique 1 , les dieux japonais continuèrent de prospérer non seulement grâce à la dévotion populaire mais aussi parce que l’État leur laissa toujours la priorité. Quand, par le hasard du calendrier, deux rites, l’un envers les dieux et l’autre bouddhique, devaient avoir lieu le même jour, c’étaient toujours les dieux qui avaient la préférence.
La langue japonaise a elle aussi résisté à l’emprise totale du chinois. Finalement, le Japon n’est pas devenu une province chinoise. Une fois constitué en État, il n’a jamais été absorbé dans le système de vassalité de son grand voisin – contrairement à la Corée par exemple. Les souverains, à partir du VII e siècle, rejetèrent le titre de ô (chinois wang ), le « prince vassal ». Et ils gardèrent leur propre temps, leurs ères. Là aussi, contrairement à la Corée.
Parmi les rites d’accession au pouvoir des souverains, on distingue clairement ceux venus de Chine comme l’apparition solennelle du nouveau souverain devant la Cour accompagné de la célébration du kanjô (transposition de l’ abhiseka , onction royale en Inde devenue une sorte d’ordination dans le bouddhisme ésotérique). Mais les rites indigènes subsistèrent. Ainsi, la Grande Gustation, Daijôsai : le nouveau souverain partageait le repas de la divinité dans des bâtiments de style archaïque construits uniquement pour cette occasion et détruits par la suite.
À l’inverse, beaucoup d’éléments de la culture chinoise, disparus en Chine, ont été conservés au Japon.Les plus beaux bronzes bouddhiques de style Tang se trouvent au Japon. Il en est de même de certains textes, ou de rites. Toutefois à partir de l’immense apport chinois, le Japon antique a su créer une sorte d’équilibre en sauvegardant sa langue, capable de donner un chef-d’œuvre comme le Dit du Genji au début du XI e siècle, le roman fleuve écrit par une dame de la Cour qui dépeint la vie mouvementé du prince Genji, séducteur et volage 2 . Cet équilibre amena à suspendre les ambassades officielles vers la Chine en 894. Autrement dit, le Japon a préservé sa fierté d’être « le pays des dieux ». Slogan dont il sera fait un usage abusif dans le Japon de la première moitié du XX e siècle.
Notes
1 . Les dieux autochtones sont considérés comme les traces laissées en ce monde
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