Le Japon
s’agenouiller et pleurer à l’entrée du palais impérial. Certains choisissent la mort, tel l’amiral Onishi qui, comme le général Anami, se fait seppuku, alors que le vice-amiral Ugaki, qui commande d’importantes forces du Tokkôtai (unité spéciale d’attaque appelée aussi Kamikaze ), accompagné d’une vingtaine de ses hommes qui n’ont pu se sacrifier au nom de l’empereur en se jetant sur les navires ennemis, s’envole dans la nuit en direction d’Okinawa et se perd en mer.
Les dirigeants japonais se sont résolus à signer la capitulation, le 2 septembre 1945. Ils doivent maintenant affronter le jugement de leurs vainqueurs. En mai 1946 s’ouvre le procès de Tokyo qui durera jusqu’à décembre 1948. Cependant, le général Mac Arthur, nouveau maître de l’Archipel 61 , a déjà fait son choix : à aucun prix l’empereur ne doit être inquiété, contrairement à ce que souhaitent les Russes, les Hollandais et les Australiens, qui réclament la tête de Hiro-Hito. Pour convaincre de cette nécessité Harry Truman, le président des États-Unis, le général américain n’a qu’à agiter la menace du chaos et du communisme. L’empereur évite ainsi non seulement sa comparution devant le tribunal des criminels de guerre, mais encore toute espèce de discussion à propos de sa responsabilité dans les méfaits commis par son armée et en son nom. Cette question fera désormais l’objet au Japon d’un tabou complet. Pour le reste, le verdict du procès de Tokyo est sans appel : neuf condamnations à mort sont prononcées ainsi que quelques détentions à vie dont celle de Kido, le garde du Sceau de l’empereur, qui sera cependant libéré en 1953.
Les Japonais se soumettent sans trop de résistance à l’occupation de l’Archipel par les États-Unis. « Les débuts pacifiques de l’occupation du Japon, écrira Kazuo Kawaï, un politologue formé aux États-Unis, resteront toujours quelque peu mystérieux. Les États-Uniss’attendaient à rencontrer résistance et traîtrise. À leur profonde stupéfaction, chacun des deux camps découvrit que l’autre n’était pas ce qu’on lui avait fait croire 62 . » Alors que la République fédérale d’Allemagne proclame son rejet de la période hitlérienne, le Japon devient l’allié des États-Unis sans pour autant clairement rejeter Pearl Harbor, ni les conquêtes de 1942.
Outre le procès de leurs criminels de guerre et l’occupation de leur territoire, les Américains imposent aux Japonais une nouvelle Constitution, qui préserve l’institution impériale. Dépourvue de tout pouvoir réel et de tout caractère divin, cette dernière n’incarne plus désormais que le « symbole de l’État et de l’unité du peuple » (article 1). Le 1 er janvier 1946, Hiro-Hito renonce publiquement à sa divinité dans un édit impérial radiodiffusé qui stipule notamment : « Les liens qui Nous unissent à vous le peuple sont fondés sur la confiance mutuelle, l’amour et le respect, et ne s’appuient pas sur de simples légendes et superstitions » ? on raconte que l’empereur, comprenant l’absurdité de la situation, aurait, à son retour au palais, demandé à sa femme s’il avait l’air différent maintenant qu’il n’était plus un dieu ! Dans le même édit, Hiro-Hito déclare que le peuple japonais n’est pas supérieur aux autres peuples, pas plus qu’il n’est appelé à dominer le monde.
Ainsi, d’un jour à l’autre, le pays découvre en Hiro-Hito un « homme comme les autres », d’autant que les Américains le présentent comme une personnalité férue de démocratie, « ayant été opposée à la guerre ». On publie des photographies de lui en famille, en train de déjeuner simplement ou bien occupé à lire le journal del’armée américaine, Stars and Stripes . Une « démocratisation » forcée qui peut aller jusqu’à l’humiliation, lorsque les soldats américains se pressent autour de lui pour lui réclamer des autographes ou lorsque, montés sur les chevaux blancs de l’empereur, ils parcourent en vainqueurs l’enceinte du palais.
Pour la plupart des correspondants de presse qui peuvent l’approcher, Hiro-Hito apparaît alors comme un homme quelque peu ridicule, qui a du mal à endosser son nouveau rôle. Et à l’occasion de la tournée de toutes les préfectures du pays qu’il effectue durant les années 1946-1948, et au cours de laquelle il est ovationné par des
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