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Le jardin d'Adélie

Le jardin d'Adélie

Titel: Le jardin d'Adélie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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les voûtes inaccessibles aux vapeurs d’encens. Tel un archange Michel invisible, le soleil y dispersait des épieux rouges, or ou bleus, dépourvus de toute impureté. L’audace technique de l’architecture franchissait les limites du possible ; l’art gothique s’affirmait dans ce qu’il avait de plus léger, de plus lumineux, pour s’élever et rejoindre le firmament, la raison même de son existence. Il ne pouvait y avoir en un tel lieu de diable à terrasser. Le regard de Louis s’empêtra dans la plombure des vitraux. Il retrouva dans la nef l’emplacement du vitrail ancien qui l’avait fasciné lors de sa toute première visite à l’abbaye ; ce vitrail l’avait beaucoup impressionné, et il savait à présent qu’il illustrait le sacrifice interrompu d’Isaac. Il se souvint d’avoir eu peur lors de cette visite. Maintenant, il n’avait plus peur. Il découvrait que, quoi qu’il advînt de lui désormais, rien ne pouvait être pire que ce qu’il venait de traverser. Il en éprouvait un exaltant sentiment d’immunité. Mais, le plus important, c’était qu’il y avait ici tout ce à quoi il pouvait aspirer. Ici, il n’y aurait jamais plus ni souffrance, ni faim, ni haine. Il y avait du travail en suffisance et de quoi apprendre pour meubler une vie tout entière. Enfin, comme but ultime de tout cela, il y avait un idéal, cette entité abstraite nommée Dieu dont il savait si peu de chose et à laquelle il avait choisi de se vouer. Les seules questions qu’il eût pu poser, celles qui lui revenaient sans cesse, se semaient comme des graines dans une terre aride : aucune humidité n’allait leur permettre de vivre. Par conséquent, il les gardait pour lui et concentrait son attention sur les notions de catéchèse élémentaires que le père Bernard avait commencé à lui inculquer en partant de zéro.
    Louis aurait dû être en paix. Mais il ne l’était pas. Et de ne pas être en paix le tracassait.
    Le célébrant s’essuya les mains avec son manuterge. Louis relégua ses pensées au tréfonds de son être. Il voulait les éteindre. Elles prenaient trop de place. Ce qu’il voulait, c’était entendre la messe et recevoir ce Jésus qui depuis toujours promettait la paix à ceux qui le suivaient. Ainsi, comme à chaque jour, il refusa de reconnaître le sourd grondement de son âme.
    Un silence relatif se fit dans l’église abbatiale, car le prône commençait. Tirant profit des images matérielles que procurait l’abondante iconographie religieuse de l’église, le prédicateur savait toucher le cœur des fidèles et rendre l’histoire sainte plus accessible aux esprits simples. Louis aimait les sermons, car chacun d’eux l’aidait un peu plus à cerner le personnage de Jésus et de tous ceux qui l’avaient précédé. Mais, ce qu’il n’arrivait pas à comprendre, c’était comment un homme pouvait réussir à être si bon. Pardonner. C’était là son message. Et lui, le futur moine, il se sentait incapable de pardonner.
    Tout ce qu’il laissait derrière était à revoir. « Afin de mieux pouvoir y renoncer », se disait-il sans trop y croire. Car, à vrai dire, il n’y avait rien à quoi il eût pu renoncer : tout était déjà perdu. Ceux qui lui étaient chers étaient morts et il ne se voyait pas d’amis. Il n’avait plus d’enfant. Plus de boulangerie. Plus d’avenir ni de famille.
    Plus de famille. Plus de parents. Il n’avait plus rien. Non, c’était faux : il y avait encore quelque chose. Quelqu’un.
    Voilà, il y avait encore pensé. Il était mauvais, nul. Tout était de sa faute.
    C’était le moment de la consécration et il s’agenouilla avec les autres.
    Mais non, tout n’était pas de sa faute. Il avait encore son père. Firmin. C’était lui. Sa faute à lui. Lui qui l’empêchait de trouver à l’abbaye cette paix tant convoitée. Firmin vivait toujours et il n’en avait pas le droit. C’était une aberration. Il fallait que Firmin expie. « Dieu fasse qu’un jour je l’aie à nouveau devant moi. Cette fois, je ne flancherai pas. » Les arêtes pointues de la vengeance refusaient de s’émousser sous les effets émollients des rituels. En lui, le tumulte et le feu subsistaient. Rien n’allait plus faire trembler sa main le jour où il allait enfin pouvoir prendre la vie de Firmin, dût-il pour cela renoncer à la sienne.
    Quelqu’un lui prit l’épaule. Louis sursauta et tourna la tête. Il vit la main délicate du

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