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Le jardin d'Adélie

Le jardin d'Adélie

Titel: Le jardin d'Adélie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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brun sombre {72} avant de prendre place sans faire de bruit. L’eau lui vint à la bouche lorsqu’il vit le contenu de sa gamelle. Comme le calendrier n’avait aucune raison valable ce jour-là d’imposer maigre et jeûne, un beau morceau de volaille rôtie accommodé de sauce épicée avec, en guise d’accompagnement, une purée de navet semée d’herbes fraîches attendait déjà le postulant affamé. La chère modeste des moines faisait toujours figure de véritable festin pour lui. Il en oublia presque de faire le bénédicité.
    — Louis ! appela le prévôt, rompant la règle du silence ainsi que c’était son droit.
    Les autres moines s’arrêtèrent de manger et pendant un instant il n’y eut plus le moindre bruit dans le réfectoire. Le prévôt annonça, d’une voix qui trahissait une grande satisfaction :
    — La règle interdit aux retardataires de prendre leur souper. Tout le monde attendait. Louis, qui portait déjà un peu de purée couleur or à sa bouche, dut consentir à remettre la nourriture dans son plat et à s’essuyer les doigts sur la touaille qu’il partageait avec trois autres postulants avant de croiser les mains sur ses genoux et de baisser la tête. Ce qu’il fit avec beaucoup de réticence. Le père Bernard l’encouragea d’un sourire. L’air contrit du fautif était plus vrai que nature, et Bernard n’était pas sans se douter que l’excellent menu en était la cause.
    Ce soir-là, le prévôt se délecta très longuement d’une tartelette au fromage au vu et au su de tous.
    *
    Louis ne s’aimait pas ; pas plus qu’il n’aimait les autres. Il se jugeait avec la même sévérité qu’il manifestait à l’égard de son entourage. Il avait conclu qu’il pouvait être sujet aux mêmes faiblesses que quiconque. Seulement, il avait trouvé sa force en travaillant sur la vulnérabilité des autres d’une façon presque imperceptible.
    Pierre raffolait de tout ce qui concernait le combat, qu’il n’abordait jamais qu’en tant que compétition amicale. De son côté, Louis faisait en sorte de mettre ce penchant à profit sans qu’il y paraisse.
    Lorsque l’abbé avait pris conscience de l’importance que l’entraînement avait prise dans leur quotidien, il avait fait venir le moine dans son étude et lui avait dit :
    — Notre communauté est désormais sa famille et il est de notre devoir d’encourager sa soif d’apprentissage. Mais, mon fils, je t’en conjure, détourne son attention des armes. Trouve-lui quelque autre occupation qui invite à la paix de l’âme. Dieu sait qu’il en a le plus grand besoin. Il y a en lui une chose qui m’effraie. Je ne voudrais pas être responsable de sa perte.
    En dépit de cette recommandation qui avait mis un terme aux leçons du frère Pierre, Louis avait eu le temps d’acquérir les éléments de base de l’archerie et de l’escrime. Il était arrivé à un niveau surprenant de maîtrise, en une période si courte que cela avait quelque chose de surnaturel.
    *
    — C’est là, chuchota Lambert en prenant sa meilleure mine de conspirateur. Nous autres, moines, sommes des inventeurs-nés. Ou, à tout le moins, nous savons reconnaître le génie des inventeurs. C’est un moine, qui a ramené d’Extrême-Orient la recette de la poudre noire, tu sais, celle qu’on met dans les bombardes. En as-tu entendu parler ?
    — Bel exemple, dit Louis.
    — Mais ils sont aussi les inventeurs de moult liqueurs somptueuses, mon ami, dont tu n’as même pas idée.
    — Comme le vin pétillant de ce Bernard de Clairvaux {73}  ?
    — Tout juste. N’est-ce pas curieux ? Douceurs de vivre et armes de guerre émanant toutes deux d’un même creuset, celui des serviteurs de Dieu.
    Les deux jeunes hommes s’étaient furtivement glissés dans l’aile occidentale du cloître, puis dans la bibliothèque, à l’insu du frère Lionel, qui était en train de cogner des clous devant un livre ouvert. Lambert pouffa de rire et souffla :
    — Regarde-le ! Si ça continue, il va s’aplatir le nez contre son lutrin.
    L’attention des deux complices revint à l’objet qu’ils étaient venus voir. C’était un mécanisme tout à fait fascinant, composé de roues à engrenage qui ressemblaient, selon la perception que Louis en avait, à un moulin miniature dont il imitait d’ailleurs le cliquetis. Le mouvement de l’objet était assuré par la chute d’un poids attaché autour d’un cylindre. Louis

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