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Le jardin d'Adélie

Le jardin d'Adélie

Titel: Le jardin d'Adélie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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d’Églantine s’altérait, pâlissait contre son gré pour laisser place à un implacable désir de vengeance qui, lui, avait un visage bien précis.
    Louis fut brutalement ramené au présent par la voix du confesseur :
    — Donc, gourmandise et orgueil. Tu dois tendre vers la perfection des vertus qui leur sont contraires.
    — J’essaierai, mon père.
    Jeûner. Ne pas manger et ce, tout à fait volontairement. Cela allait être difficile, mais il tenta de s’encourager en se disant que cela n’allait sans doute pas être aussi pénible que lorsqu’il était jadis confiné des jours durant sous les combles, après avoir reçu quantité de coups de bâton. Pour l’orgueil… eh bien, ça, c’était un peu plus compliqué. Il n’arrivait pas à cerner au juste en quoi l’orgueil et l’humilité consistaient. Le prévôt interrompit le cours de ses pensées :
    — Qu’en est-il de la colère, mon fils ? Louis cilla.
    — La colère ?
    — Oui.
    Le père Guillaume vit les mains jointes se serrer. Elles devinrent des poings.
    — Non, mon père.
    Guillaume demanda, cette fois avec une grande bonté :
    — En es-tu bien sûr ?
    L’un des poings se mit à trembler d’une façon saccadée.
    — Calme-toi, mon fils…
    — Non. Je ne veux pas être en colère, dit Louis en l’interrompant. Ça vient tout seul et je ne veux pas.
    Il ne pouvait y avoir de pénitence de ce côté-là. Guillaume n’insista pas. Il imposa à Louis un jeûne d’une journée ainsi que dix Pater Noster récités avec ferveur pour l’aider dans son cheminement contre l’orgueil.
    *
    Louis était comme l’un de ces livres qui n’aimaient pas être ouverts. Sa reliure trop rigide en gardait jalousement les pages. Lionel n’arrivait pas à l’atteindre. Il aurait aimé pouvoir lui parler. De n’importe quoi. D’Héloïse et d’Abélard, par exemple. Louis ne semblait pas apprécier les histoires, mais le bibliothécaire était persuadé que, cette histoire-là, il l’aurait comprise. Ces personnages légendaires avaient été amants, mais en s’astreignant toute leur vie à une admirable chasteté. Car l’oncle d’Héloïse, un chanoine, avait fait castrer Abélard afin de s’assurer que la vertu de sa nièce serait protégée. L’amant avait déjà suffisamment scandalisé la gent universitaire avec ses discours trop audacieux. Abélard avait trente-six ans, alors qu’Héloïse en avait quatorze. C’était à l’époque bénie de l’amour courtois.
    Lionel aurait aimé l’aider à recommencer sur un parchemin vierge la lettre qu’une plume cassée avait gâchée. Il l’avait bien perçue, lui, la colère de Louis. C’était une révolte à genoux.
    « J’aimerais que tu puisses entendre ce que je ne dis pas {76}  », avait-il un jour pensé lorsqu’il avait vu le jeune postulant penché sur une enluminure qui représentait le roi du Graal, Anfortas, grièvement blessé au sexe par une lance empoisonnée au cours d’un combat singulier. Dans un roman où il était question d’Anfortas {77} , le meilleur chevalier du monde savait réconcilier le roi avec lui-même. À son contact, le roi blessé guérissait, et le royaume retrouvait la prospérité. C’était là une autre histoire que le frère Lionel aurait aimé pouvoir lui lire. En outre, il avait envie de proclamer à la Vierge, comme dans la chanson de Roland : « Sœur, chère amie, tu réclames un homme mort, mais je t’en donnerai un autre bien meilleur, et je ne saurais mieux compenser ta perte, car il est mon fils et héritera de mon royaume ! »
    Louis avait remarqué que depuis peu le saint moine portait pour se mortifier une chemise de crin sous sa coule. Cela non plus, il ne le comprenait pas. Comment pouvait-on s’infliger volontairement de la douleur ? Et pour quel motif ? N’y avait-il pas déjà suffisamment de souffrance dans le monde ? Ce moine n’avait pourtant rien d’un fanatique ni d’un fou. Au contraire, on le disait très érudit. Mais il ne connaissait plus rien du monde. Il s’en était retiré depuis trop longtemps. Son teint blafard était caractéristique de ceux qui se montrent rarement au soleil. Chaque fois qu’il le voyait, Louis avait envie de lui arracher son cilice et de le réveiller avec une bonne paire de baffes.
    « Vain orgueil ! » lui aurait dit le père Guillaume s’il l’avait entendu. En tout cas, toute pensée offensante qu’il ne pouvait clairement définir semblait

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