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Le jardin d'Adélie

Le jardin d'Adélie

Titel: Le jardin d'Adélie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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devions en rester là pour l’instant. Le frère Lionel, qui est l’un des tuteurs de Louis, m’a demandé une audience pour en discuter. Par écrit, bien entendu. J’ai décidé d’accéder à sa demande. Le sujet est donc clos pour le moment. Père Guillaume, père Bernard et Louis, vous êtes également conviés à mon étude après la réunion.
    Lambert se retourna vers Louis, à qui il fit un clin d’œil.
    — Deux muets. Voilà qui donnera une petite causerie intéressante, chuchota-t-il.
    *
    L’abbé posa un feuillet abîmé sur sa table et en approcha une chandelle avant de s’asseoir. Il invita ses trois hôtes à faire de même sur les bancs qui avaient été disposés devant lui. Il joignit les mains et s’adressa directement à l’adolescent.
    — Louis, je suis tout à fait conscient que tu n’apprécies guère d’être devenu ainsi le point de mire de toute la communauté. Mais il faut que tu saches une chose : en tant que communauté, justement, nous sommes tous concernés par ton bien-être. Si tu souffres, nous aussi souffrons avec toi. Une maxime juridique dit ceci : Quod omnes tangit ab omnibus approbari debet, ce qui signifie : « Ce qui concerne l’ensemble doit être approuvé par tous. » Telle est la puissance du lien qui nous unit. Tout ce que nous faisons ou que nous omettons de faire vise ton épanouissement et, par extension, celui de la communauté à laquelle tu appartiens. Tu me suis ?
    Le postulant concerné, plus calme, fit un signe d’assentiment. Les autres écoutaient avec la plus grande déférence.
    — Bien. J’ai personnellement pu établir le constat que tes réactions spontanées et vindicatives sont dues à une souffrance intense, d’où notre très grande indulgence à ton endroit. J’y ai beaucoup réfléchi. Ton agressivité à toi diffère de celle à laquelle on s’attendrait de la part d’un individu qui est sur la défensive. Premièrement, elle intervient après que le dommage a été causé ; tu reçois des coups et tu ripostes. Quelqu’un te fait une remarque désobligeante et tu le projettes à l’eau. Bref, il ne s’agit pas de te défendre contre un danger menaçant. Il n’y a plus de danger, ici, tu le sais.
    Antoine suivit des yeux le contour de l’arc-boutant qui soutenait le plafond de son office et reprit, comme s’il y avait trouvé la suite de ses réflexions :
    — Deuxièmement, ton agressivité est beaucoup plus intense que celle qui procède normalement de la seule attitude défensive. Ce qui nous amène à ceci.
    Antoine ramassa le feuillet qu’il agita légèrement avant de le déplier. Il approcha la chandelle et se pencha vers elle, le feuillet déplié à la main.
    — C’est un message du frère Lionel qui, tout comme toi, ne peut parler. Cela se lit comme suit : «  Pierre Abélard soutient qu’il n’y a de péché que selon l’intention. Cela signifie qu’un acte n’est pas moralement répréhensible lorsque la faute est commise sans l’intervention de la connaissance du bien et du mal. On peut donc faire erreur de bonne foi sans forcément vouloir se dresser contre Dieu. » L’abbé leva les yeux et demanda :
    — Le frère Lionel a beau ne pas pouvoir parler, il sait trouver les mots justes.
    L’abbé se tut un instant. Il songea à une autre lettre écrite par le frère Lionel, il y avait quatre ans déjà, et qui était destinée au curé de la paroisse Saint-André-des-Arcs à laquelle appartenait alors Louis. Ni Firmin ni Louis ne le savaient, mais c’était grâce à cette silencieuse intervention épistolaire que Firmin n’était pas tombé dans la déchéance en chassant son fils de la boulangerie. Le curé l’en avait empêché.
    Reprenant le cours de ses pensées, Antoine dit à Louis :
    — Réfléchis. Réfléchis et réponds-toi à toi-même. La question à te poser est la suivante : en ton âme et conscience, es-tu réellement mauvais, Louis ?
    « Ça y est. Ils vont me flanquer à la porte », se dit Louis qui avait adopté une posture rigide. L’abbé reprit sa lecture :
    « La chute nous a fait perdre la précieuse harmonie présente dans le règne animal. Tel est le prix que nous avons dû payer pour obtenir notre terrible liberté de choix. Ainsi sommes-nous devenus une anomalie en cette terre de Nod {79} où, depuis, nous errons sans cesse à la recherche de notre place comme si nous n’étions finalement qu’un caprice de l’univers. Pourtant, en dépit

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