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Le jardin d'Adélie

Le jardin d'Adélie

Titel: Le jardin d'Adélie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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des vastes connaissances accumulées au cours des siècles, nous continuons à faire partie de la nature. Tout comme l’animal, nous demeurons soumis aux mêmes lois. Comment expliquer alors que nous soyons capables de transcender la nature   ? Par quelle ressource y parvenons-nous   ? Je crois que cette ressource réside en notre âme. »
    Il regarda encore une fois le postulant.
    — Telle est notre destinée. C’est à la fois grandiose et impitoyable. Mais voici enfin le cœur du sujet : « Nous devons avoir recours à la même ressource pour celui dont l’être est tout entier investi par la loi du talion. Il faut substituer à cette loi une autre, qui soit plus humaine. » Sais-tu ce qu’est la loi du talion, Louis ?
    L’adolescent fit un signe de dénégation. Antoine lui expliqua :
    — C’est le commandement de l’Ancien Testament qui disait : « Œil pour œil, dent pour dent. » Ce commandement a été depuis remplacé. Sais-tu par lequel ?
    Louis fit signe que oui. Son regard s’éteignit.
    — Très bien. C’est cela que je désirais te dire, mon fils. Va et réfléchis.
    Pendant un temps qui parut très long aux moines, Louis ne bougea pas de sa place. Il ne regarda personne.
    — Louis ? appela l’abbé Antoine.
    L’adolescent ne réagit toujours pas. Ils eurent la nette impression qu’il n’était déjà plus avec eux et qu’il avait par mégarde abandonné son corps derrière lui. Enfin son regard se ranima. Il se leva et, en passant près de Lionel, il jeta quelque chose sur ses genoux. La porte se referma sur la silhouette filiale, plus tout à fait celle d’un adolescent, mais pas encore celle d’un homme. Le moine baissa les yeux. Sur son giron roula un bouton de rose qui avait bruni avant d’éclore. Lionel émit un petit bruit qui fit sursauter tout le monde. Cela ressemblait à un sanglot.
    *
    — Répète après moi : Confiteor Deo omnipotenti et vobis, fratres {80} …
    Avec cette confession publique donnée en salle du chapitre, la pénitence de Louis prenait officiellement fin. Il répéta docilement les mots latins qu’on lui avait préalablement traduits afin qu’il pût en prononcer les paroles sacrées en toute connaissance de cause :
    –… qui apeccavi nimis cogitatione, verbo, opere et omissione {81} .
    À en croire la légende, à l’origine, les moines étaient égaux en tout. C’était en considération de cette croyance que tous acceptaient d’emblée les paroles de Louis. Une grande dignité émanait de sa façon de les dire, et Lionel se demanda si c’était là chose convenable. Mais quoi, le doux Jésus n’eût-il pas apprécié ce maintien altier chez l’un de ses disciples ? Eût-il davantage trouvé l’accomplissement de sa gloire en se voyant entouré d’une cour assidue de mollassons plutôt que de cette fierté si belle à voir ?
    —  Mea culpa, mea culpa, mea maxima culpa {82} .
    — Merci, Louis. Tu peux aller t’asseoir, dit l’abbé Antoine.
    À la fin de la réunion, alors que les moines sortaient de la salle capitulaire, le frère Lambert apostropha son ami en ces termes :
    — Eh, Louis, aurais-tu oublié ? Ta pénitence est terminée. Tu n’as donc rien à me dire, après tout ce temps ?
    — Non.
    L’adolescent haussa les épaules et sortit. Lambert, un peu saisi, fît rire gentiment les autres autour de lui en prenant un air faussement outré :
    — C’est fou ce qu’il peut ramasser comme disciples, ce Lionel. Je suis jaloux.
    *
    Entre le grand et le petit Pré-aux-Clercs, un canal dirigeait l’eau de la Seine jusqu’à la retenue du moulin adossé au mur {83} . Au-delà de la roue, l’eau s’écoulait par un canal souterrain jusqu’à la brasserie, la cuisine et la fontaine où les moines allaient se laver les mains avant les repas, et enfin vers les latrines près du dortoir de l’hôtellerie. Elle s’en retournait enfin au fleuve.
    Depuis son arrivée, Louis avait évité le moulin. C’était trop triste. Mais, ce soir-là, après vêpres, il s’assit sur un banc près de la porte et prêta l’oreille au cliquetis familier des engrenages. Peut-être par intuition, nul n’y vint l’importuner. Le pissenlit avec lequel il jouait sema sur ses genoux son cortège de petits parachutes dont le tulle était encore trop humide pour leur permettre de prendre leur envol. La longue tige blême du pissenlit tomba à ses pieds. Il demeura assis là fort longtemps, tout seul, dans la

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