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Le jardin d'Adélie

Le jardin d'Adélie

Titel: Le jardin d'Adélie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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pouffa de rire. Louis se tenait en face de lui, silencieux et sans réaction. La voix reprit :
    — Sortez de là tout de suite. Non, mais, imaginez : chanter comme des ménestrels dans une pharmacie. Ça ne se fait pas. Vous pouvez être certains que j’en informerai le père Bernard.
    Lambert sortit le premier en protestant :
    — Louis n’a pas chanté, mon père. C’était moi. C’est entièrement ma faute.
    — Je ne veux pas le savoir. Allez. Filez tous les deux. Il va encore falloir que je remette de l’ordre dans toute cette pagaille que vous avez semée là-dedans.
    — Nous n’avons rien dérangé, dit Louis.
    — À d’autres. Et cesse de me répondre sur ce ton, jeune impertinent.
    Ils sortirent. Les joues rouges, Lambert ricana.
    — Gna-gna-gna… Il ronchonne plus que ton estomac creux, Louis. Dis-moi, es-tu encore obligé déjeuner ?
    — Non. J’ai dîné.
    — Vêpres n’ont pas sonné et tu gargouilles déjà ? Tu devrais te planquer un peu de mangeaille sous ta couche. Sans blague, ce ne doit pas être chose aisée que de nourrir ce corps de géant.
    — Ce n’est pas aussi difficile que de songer à me pencher lorsque je passe les portes.
    — Eh ! eh ! C’est bien vrai, ça. Je te parie que, le jour de ta prise d’habit, les manches de ton froc vont t’arriver à la mi-bras et tes chevilles vont dépasser. Tu auras l’air d’un épouvantail et on ira te planter dans le potager. Oh là là ! Frère Louis, que d’indécence !
    *
    Le jeune postulant devait avoir deux ou trois ans de moins que Louis. C’était encore presque un gamin. Il s’appelait Gérard.
    Le tout avait commencé par des riens : des boulettes de cire lancées d’une chiquenaude dans le dos de Louis ou dans ses cheveux, quelques grimaces moqueuses et, à plusieurs reprises, des remarques désobligeantes sur sa taille ou sur son « ignorance de roturier indécrottable ». Quoi qu’il en fût, un beau jour, Gérard avait dépassé les bornes et s’était retrouvé à quatre pattes dans la fontaine.
    Le prévôt avait tout vu. Le groupe des postulants qui assistaient à la scène le virent arriver derrière le dos de Louis. Ils n’osèrent pas bouger. Même Gérard, tout dégoulinant d’eau froide, demeura figé dans sa posture humiliante. Le père Guillaume appela, d’une voix péremptoire :
    — Louis !
    L’interpellé fit volte-face. Le moine se tapota la paume avec sa férule et ordonna :
    — Ce genre de comportement est indigne d’un serviteur de Dieu. Tends la main.
    Louis devait obéir et humblement accepter la punition. Mais il regarda le prévôt dans les yeux et répondit calmement :
    — Non.
    À raison courroucé, Guillaume le saisit par l’oreille, ce qui força le fautif à se pencher légèrement.
    — Vain orgueil, Louis. Tu vas tendre la main tout de suite.
    Louis tendit la main. Mais ce fut pour s’emparer de la palette en bois. Le prévôt en demeura pétrifié. L’adolescent brandit l’instrument, prêt à frapper le prévôt au visage. Le malheureux moine grisonnant geignit et se protégea en levant le bras. Personne n’avait jamais porté la main sur lui. Les postulants retinrent leur souffle.
    — Louis, non…
    C’était la voix du père Bernard que l’on venait discrètement d’alerter.
    Louis faisait peur à voir. Sa colère insensée détonnait dans ce sanctuaire d’où toute violence était exclue. Conscient soudain de la gravité de son geste, il eut honte. Tout ce qu’il avait ramené avec lui menaçait de détruire le climat de ce lieu. Il se sentit sale, réellement indigne de s’y trouver, et son bras levé s’en trouva paralysé. Le père Bernard s’avança courageusement.
    — Louis…
    L’adolescent laissa la férule tomber aux pieds du père Guillaume et se détourna, le regard vague. Il frôla le bon vieillard et s’en fut se cacher dans le jardin avec le tumulte qui s’agitait dans sa tête.
    *
    Une semaine de silence absolu. Telle fut l’une des pénitences imposées aux deux coupables, Louis et Gérard. Ils ne devaient pas parler et personne n’avait le droit de s’adresser à eux. L’idée venait du prévôt, et ce châtiment était typique. Il était normalement très difficile à supporter pour un adolescent sociable. Si la contrainte mit Gérard au supplice, Louis ne s’en plaignit pas, au contraire. Il voyait cela comme une récompense plutôt qu’une punition, puisque ses interactions avec les autres s’en

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