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Le jardin d'Adélie

Le jardin d'Adélie

Titel: Le jardin d'Adélie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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organisée. À son stade embryonnaire, Paris avait eu l’apparence organique d’une pêche. Contrairement à la plupart des villes qui naissent sur une seule rive de leur cours d’eau géniteur, la chair de la pêche parisienne s’était formée autour d’une île entre Seine et Marne dont elle avait fait son noyau. Elle s’était développée ensuite de façon circulaire autour de lui. Au sud, la ville savante s’était installée avec l’Université, tandis que le nord avait été consacré à l’activité commerçante et au Temple des artisans. Quant au centre, il avait conservé sa vocation première : là palpitait le cœur du royaume, avec la cathédrale Notre-Dame et le palais. L’autre rive de la Seine, celle de droite, était dévolue à la fonction marchande de la ville : halles, boucheries, smala d’échoppes variées. Le cimetière des Saints-Innocents accueillait sans trêve une population silencieuse qui se densifiait comme celle, vivante celle-là, de la cité nourricière. La pêche initiale avait fini par en devenir méconnaissable : bornée d’un côté par une ligne imaginaire qui eût été posée entre le Louvre et le Temple, elle s’était infiltrée dans l’espace entre le Châtelet et la porte Saint-Denis.
    Louis passa un moment à admirer la Bastille, puis le paysage du côté de l’île aux Juifs que certains vieillards appelaient encore l’île aux Chèvres. Il se demandait souvent ce qui était arrivé pour que les chèvres soient devenues des Juifs. Peut-être ces gens que tout le monde haïssait avaient-ils été victimes d’un sortilège qui avait depuis été rompu ? Cet îlot se trouvait en aval et à la pointe de l’île de la Cité. Le jardin du Palais n’en était séparé que par un mince bras du fleuve. Au nord, l’Hôtel de Ville montait la garde devant la place de Grève.
    Grisé, Louis soupira d’aise. Il se sentait mieux. L’épreuve était enfin terminée. À soixante-neuf mètres du sol, il avait Paris à ses pieds, et sa tête effleurait le ciel. L’ange du Jugement dernier ne pouvait plus rien contre lui. Il se retourna vers la cage de l’escalier qui béait, toute noire. Dieu Lui-même semblait avoir renoncé à le poursuivre. Jamais auparavant il n’avait éprouvé un tel sentiment de sécurité. Juste pour cela il avait valu la peine d’endurer le reste.
    « Ça y est. J’y suis, j’y reste », songea-t-il en tentant de se persuader que c’était possible. C’était tellement agréable de faire semblant d’y croire, même un bref instant. Du côté ouest, il distingua les trois flèches romanes de Saint-Germain-des-Prés et la secrète et intimidante abbaye où logeait sa mère en ce moment même, un privilège que convoitaient des personnages aussi illustres que des évêques. « Mais quand même, Mère aimerait mieux être ici », se dit-il encore. Mère aimait bien rêver avec lui. Elle en avait bien besoin, elle aussi, car elle était si souvent malade. Quelques jours plus tôt, elle avait encore dû se rendre chez les moines pour se faire soigner à cause d’une maladie qui lui faisait parfois un gros ventre. Quand elle était de retour à la maison, son ventre redevenait graduellement plat. Cette maladie devait être très douloureuse. Pauvre Mère.
    Appuyé contre la balustrade occidentale, Louis se rendit compte que le soleil avait disparu à l’horizon et que le vent fraîchissait. Il avait pris beaucoup de retard, il le savait. Pourtant, il ne faisait pas mine de rebrousser chemin. « C’est à cause de l’escalier », se dit-il en essayant d’y croire. C’était en partie vrai. Mais il savait que ce n’était pas la seule raison de sa crainte. L’autre raison s’appelait Père. Lui n’allait pas, comme l’ange ou Dieu, renoncer à le punir de s’être attardé et d’avoir perdu une pièce. « Je n’ai pas envie de rentrer ce soir. Si je passais la nuit ici ? » Encore un projet irréalisable : il lui fallait passer par la maison prendre du pain pour ses livraisons du lendemain. Il devait rentrer pour aider Père, qui lui aussi était souvent malade.
    — Vole, vole, je suis un oiseau, dit-il aux pigeons qui tournoyaient autour de lui tels des mouchoirs souillés.
    Un volatile curieux s’aventura plus près et se posa sur la terrasse : Louis chercha à l’atteindre d’un coup de pied : le pigeon s’éloigna à tire-d’aile.
    — Saleté, je t’aurai, dit-il en suivant d’un regard envieux

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