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Le jardin d'Adélie

Le jardin d'Adélie

Titel: Le jardin d'Adélie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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pas peur. Je peux monter plus haut que toi, dit-il à l’ange.
    Il retourna en direction de la façade. Le soleil était encore suspendu au-dessus de l’horizon. « J’aurai le temps », se dit-il en jetant un coup d’œil à l’un des angles de la tour sud qu’il venait de dépasser. À cet endroit, une tourelle signalait l’emplacement de la cage d’un autre escalier. Jamais il n’était monté tout en haut. Il se sentait tenaillé par l’envie d’y aller, mais en même temps il appréhendait d’avoir à gravir l’étroit escalier en vis qui devait être pire que celui d’en bas. Jusqu’à ce jour, il avait toujours pu prétexter le manque de temps. Il avait pu renoncer à son ambitieux projet en se disant que Père allait le punir s’il franchissait le seuil de la boulangerie après le couvre-feu.
    « Tout là-haut, personne ne pourra plus me faire de mal. Pas même l’ange », se dit-il en levant les yeux vers la tour qui, vue d’aussi près, avait l’air encore plus imposante. Elle semblait confirmer son raisonnement par sa seule stature.
    Avec lenteur, il se dépouilla donc de sa hotte. Il l’appuya contre le mur près de l’escalier en compagnie de son gourdin et entreprit sa pénible ascension.
    Très vite, il fut tenté de rebrousser chemin. Son malaise ne ressemblait en rien à ceux qu’il avait jusque-là ressentis, dans les autres escaliers où seules l’angoisse et la faiblesse de ses jambes l’avaient fait tomber. À cause de ce défi qu’il venait de lancer à l’ange, Dieu semblait avoir eu vent de ce qu’il était en train de faire. Or, Dieu ne voulait pas de lui à l’église, et sûrement encore moins là-haut. C’était Lui, l’enfant en était sûr, qui lui faisait ressentir une telle oppression qu’il s’en trouva incapable de respirer. Par trois fois, il cessa brusquement d’exister, comme si Dieu lui arrachait son âme en guise d’avertissement et la lui redonnait ensuite. Les deux premières fois, il revint à lui par l’effet de ses propres chutes ; il dut débouler une bonne dizaine de marches avant d’arriver à se retenir à l’une d’elles du bout des doigts. Chaque fois, il dut s’asseoir pour se reposer un peu. Une piécette s’échappa de sa bourse et il faillit plonger en avant pour tenter de la rattraper. Trop tard : il l’entendit tinter interminablement dans l’escalier jusqu’à ce qu’elle fût engloutie par le silence. Louis referma fébrilement sa bourse et se mit à pleurer. Dieu le punissait, il n’y avait aucun doute là-dessus. Et, une fois à la maison, Père allait lui aussi le punir à cause de la pièce perdue. Sauf s’il atteignait le haut de la tour et ne rentrait plus jamais. Il reprit donc courageusement sa montée.
    La troisième fois, il mit plus longtemps à lutter contre l’inconscience, car, au haut des quatre cent vingt-deux marches, il avait atteint une surface assez large pour se laisser choir mollement à plat ventre. Ce fut l’effet de la lumière cuivrée du couchant, associé à la brise fraîche devenue vent sur son visage en sueur, qui le ranima. Confus, la tête bourdonnante, le corps parcouru de frissons, Louis ouvrit les yeux. En tombant, sa bourse s’était rouverte et avait répandu son contenu sur le dallage en pierre tiède d’une terrasse dont le centre était coiffé d’un pignon octogonal.
    Il avait réussi.
    Sans se soucier de sa monnaie, Louis se remit debout et s’avança sur ses jambes flageolantes jusqu’à une balustrade identique à celle qui surmontait la Grande Galerie du côté occidental. Le vent qui venait de loin n’avait ramassé nulle part de scories fétides. En bas, les rues étroites ressemblaient à de grosses fourmilières au-dessus desquelles dérivaient mollement des fumées grasses. Au-delà, la ville prenait une perspective encore différente. La Seine aussi, avec les cinq îles qu’elle avait semées, par distraction sans doute, en plein cœur de la ville. En faisant le tour de la terrasse, le garçon put voir d’un seul coup d’œil, comme un ange en vol, toutes les choses que les méandres des rues et les encorbellements sombres refusaient de partager avec les habitants de la ville. Les trois bourgs qui composaient Paris, la Cité, la ville en tant que telle et l’Université, étaient alimentés par deux rues parfaitement rectilignes qui les traversaient de part en part. Grâce à elles, Paris prenait l’aspect un peu plus ordonné d’une créature

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