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Le jardin d'Adélie

Le jardin d'Adélie

Titel: Le jardin d'Adélie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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indifférence. Ce n’étaient que fariboles sans intérêt. Il laissa Jacinta lui prendre la main. Elle répéta :
    — Je ne lis jamais dans les lignes de la main.
    Pourtant, elle abaissa les yeux sur la paume ouverte de Louis et dit, en la caressant du pouce :
    — Je vois beaucoup de peines. Trop de lignes brisées.
    Elle secoua la tête et regarda à nouveau le visage de Louis.
    — Mais une ne se brise pas. Je vais te faire une marque. Comme la mienne. Regarde.
    Elle dénuda son épaule afin de lui montrer une petite fleur d’un rouge brunâtre dessinée à même la peau. Elle était représentée tête basse, un peu triste, et l’un des pétales était tombé. Elle précisa :
    — Ma destinée. Je sais que je vais perdre Hugo. Je lui en ai déjà fait une, une marque, à lui. C’est lui qui l’a choisie. Il voulait trois lignes sur le bras. Je ne sais pas ce que c’est. Tu vois, c’est jamais pareil. Toi, ce sera autre chose. Ça restera toujours sur toi. D’accord ?
    — Si tu veux. J’ai déjà des cicatrices partout.
    — Tu n’as pas peur ?
    — Le devrais-je ?
    Elle lui sourit et fit un signe de dénégation.
    — Non. Pas si tu es un vrai guerrier.
    À l’aide d’une grosse aiguille de sellier dont les côtés étaient taillés en dents de scie, Jacinta procéda à un laborieux perçage de la peau. Le poignet qu’elle maintenait sur son giron ne se rétracta pas. La jeune femme, penchée sur l’avant-bras marqué qu’il lui avait offert, se concentrait. Elle y laissait une multitude de petites entailles à travers lesquelles le sang coulait. Louis fut incapable de distinguer un quelconque motif. À plusieurs reprises, Jacinta dut lui éponger le bras. Elle dit :
    — Tu ne gigotes pas tout le temps comme les autres. On dirait que tu ne sens rien.
    — Montre-moi.
    — Non, attends. Je n’ai pas fini.
    Jacinta s’étira et prit un pot dans lequel elle plongea les doigts de sa main libre. Elle frotta sur la plaie une sorte de pâte granuleuse à base d’ocre rouge et posa un pansement par-dessus le tout.
    — Ne l’enlève pas avant quelques jours, sinon, ça risque de s’effacer. Tu auras tout le temps voulu pour voir ce que c’est {95} .
    Ce disant, elle lui fit un clin d’œil.
    — Me voici fustigé d’avance pour ce que je ferai dans l’avenir, dit-il.
    Jacinta leva vers lui des yeux infiniment tristes. Elle ne dit rien.
    Lorsqu’il quitta plus tard l’abri de la voyante, la lampe avait bu ses dernières gouttes d’huile et s’endormait paisiblement en même temps que sa jeune propriétaire.
    Il jeta un coup d’œil circulaire sur le camp silencieux. Le feu de braises réchauffait des formes endormies autour du foyer. Les perdrix avaient été dévorées depuis longtemps. Il marcha sur l’un de leurs petits os que quelqu’un avait jetés là. Louis leva les yeux pour admirer la voûte céleste piquetée d’étoiles si nombreuses que cela en était étourdissant. Elle ressemblait à un immense manteau de velours brodé de diamants. « Peut-être parce qu’en montagne on est plus près des cieux », songea-t-il distraitement, ce qui ramena ses pensées vers Saint-Germain-des-Prés. L’abbaye lui manquait. Terriblement. Mais il refusa de trop y penser. « Ça va passer. Et si ça passe, tout passera. Père aussi {96} . Un jour. Là-bas. Et, lorsque ce sera fait, je retournerai à l’abbaye. »
    Il souleva le pansement sur son bras endolori et regarda la tache sombre sur sa peau éclairée par les rayons bleutés de la lune.
    C’était l’image d’une hache.
    *
    La retraite de l’Ermite était assez difficile à trouver. En y dépêchant Hugues et Louis avec toutes les indications nécessaires, Jacinta leur remit une besace dans laquelle avaient été déposés un pain plat, du fromage de chèvre et des remèdes. Une outre pleine d’eau fraîche les attendait aussi. La voyante avait changé d’idée et décidé de ne pas les accompagner.
    La montée fut rude, et les jeunes gens durent passer le secteur au peigne fin à plusieurs reprises avant de dénicher enfin une fente étroite au pied d’une colline sur laquelle des rochers affleuraient à la surface de la terre. L’ouverture se trouvait au fond d’une cuvette bien abritée par des pentes roides sur lesquelles croissait une végétation désordonnée et résolue.
    Le vieil homme fiévreux était étendu sur sa couche, dans la pénombre trop fraîche de son repaire. Il n’y avait pas

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