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Le jardin d'Adélie

Le jardin d'Adélie

Titel: Le jardin d'Adélie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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fait de feu la veille et aucune lampe n’était allumée. Il gisait sur le dos, immobile, ses yeux trop brillants fixant le plafond irrégulier. Il ne parut pas remarquer l’arrivée des visiteurs. Hugues suspendit sa besace et l’outre à une aspérité naturelle qui semblait destinée à cet usage.
    — Eh bien, eh bien, Papy, ça ne va pas ? Il vous faut sortir un peu au soleil, allez.
    Hugues aida le vieil homme à se lever tandis que Louis restait planté là à observer la scène. L’ermite se laissa docilement conduire à l’extérieur de la grotte. Non loin de là, un rocher plat pouvait servir de banc. Le soleil l’avait réchauffé, et le vieillard put s’y asseoir dès que Hugues eut ménagé un passage à travers quelques buissons bas.
    Garin de Beaumont {97} avait été un guerrier redoutable. On pouvait encore le deviner en observant sa musculature, bien que le grand âge l’ait fort affaissée. Il avait perdu la plupart de ses dents, mais, grâce à celles qui lui restaient, son visage n’avait pas été déformé. Quelque chose de puissant, une sorte de grandeur inaltérable, émanait de lui. On ne pouvait savoir exactement de quoi il s’agissait tant qu’on n’avait pas pris le temps d’admirer sa longue chevelure peignée vers l’arrière et sa barbe de patriarche, uniformément blanches comme neige neuve du Nord et soyeuses comme duvet de cygne. Il prenait grand soin de sa personne et de ses simples habits de paysan ; c’était là quelque chose d’admirable pour un montagnard dont les ressources en eau étaient plutôt chiches. Garin posait autour de lui un regard qui devait être du même gris que l’acier de son épée, mais sans le tranchant de l’arme. Il prit la parole dans un français impeccable :
    — J’ai posé mes pièges… dans le bosquet là-bas.
    — J’y vais, dit Louis.
    Le jeune homme se faufila parmi les taillis bas, tandis que Hugues prenait place auprès du vieillard.
    — Ça va mieux, Papy ? Tenez, prenez ceci.
    — Qui est-ce ?
    Garin suivait des yeux le visiteur inconnu dont, parfois, le dos disparaissait parmi les buissons pour s’occuper de l’un ou l’autre collet.
    — Mon ami.
    — Comment se fait-il que je ne l’aie jamais vu auparavant ?
    L’ermite prit la poudre amère que lui avait remise Hugues et la fit passer avec de l’eau en buvant à même l’outre.
    — Il n’a jamais voulu venir avec moi avant.
    — Ah bon. Est-ce un moine ?
    Hugues regarda en direction de Louis et cligna des yeux à la vue du capuce qui pendait, coincé entre le dos de Louis et son carquois.
    — À vrai dire, je n’en sais rien. C’est bête, je n’ai pas pensé à le lui demander.
    — Alors, c’est que vous ne causez guère, tous les deux.
    Hugues se baissa pour cueillir un brin de romarin qu’il caressa un peu avant d’en grignoter la tige.
    — Non, guère. Enfin… pas lui, en tout cas.
    — Hum, je vois.
    La chaleur bienfaisante déliait graduellement les muscles du vieillard, mais il frissonnait encore par moments. Louis revint vers eux avec une proie.
    — Hum, un beau lièvre, dit Garin admirativement.
    Il caressa la fourrure bariolée de la petite bête raidie que Louis posa près de lui.
    — Cela nous fera un bon souper. Prépare-le, l’ami, si tu le veux bien, dit Garin.
    Sans un mot, Louis prit à sa ceinture une dague rudimentaire et entreprit de dépiauter le lièvre. Le vieillard ajouta :
    — Restez manger si le cœur vous en dit. Il y en aura trop pour moi. Dis donc, ton couteau me rappelle ceux que les Anciens fabriquaient. On en déterre parfois des vestiges par ici. Beaucoup plus vieux, en pierre. Le tien me paraît en bon acier.
    — Il va bien, dit Louis.
    — D’où le tiens-tu ?
    — Je l’ai pris à un mort.
    Hugues toussota. La peau du lièvre tomba en froissant les herbes rares qui bouclaient autour du jeune homme agenouillé. Déjà une grosse mouche bleutée volait autour de leur tête avec obstination, attirée par l’odeur de chair crue. Garin avait été conscient du malaise provoqué par sa question. Il fit pourtant semblant de n’avoir rien remarqué :
    — Tu peux garder la peau, j’en possède en suffisance. Ainsi, tu viens, toi aussi, du Nord.
    — Paris.
    — Moi de Reims. J’y ai passé ma jeunesse avant de partir pour la Terre sainte. J’ai quatre-vingt-douze ans, et je n’y ai plus jamais remis les pieds. La mémoire du bon pape Urbain ne me l’aurait pas permis {98}

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