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Le jardin d'Adélie

Le jardin d'Adélie

Titel: Le jardin d'Adélie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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lui.
    Quelque chose se mit en travers de son chemin et, farouche, l’image du jardin se volatilisa avec sa musique. Louis trébucha. Il se retrouva à plat ventre en pleine rue Guillaume-Porée, que les vieux appelaient encore Mauconseil. Il était redevenu enfant, et sa chemise était éclaboussée par l’eau sale d’une rigole. Il se redressa afin de s’assurer que le contenu restant de sa hotte était intact et jeta autour de lui un regard effaré. Un joueur de boules venait de lui faire un croche-pied.
    — Tiens, qui voilà ? Tu ne sais même pas courir, le Ratier. T’es encore plus taré que je croyais.
    Des gamins criards l’encerclaient en ricanant et en le pointant du doigt. Il s’agissait pour la plupart d’enfants du voisinage, fils de gasteliers*, de fouaciers* et d’oubloyers*. Hugues et sa bande se trouvaient parmi eux. Désœuvrés, ils avaient choisi et isolé Louis pour passer un peu le temps. Une prise facile : le pauvre bougre ne se défendait jamais.
    — Et, en plus, tu sens les latrines, dit un autre en se bouchant le nez.
    — Comment peut-il réussir à vendre du pain, ce morpoil* ? Moi, à la place de son père, j’en crèverais de honte.
    — Hé ! Le Ratier ! File-m’en une miche ou deux. On sait jamais, peut-être bien que nos cochons vont aimer !
    Une voix qui graillonnait interrompit les rires et la manœuvre d’encerclement des agresseurs :
    — Non mais, vous allez me cesser ce raffut, sales voyous ! Pour qui vous prenez-vous ? Allez, ouste ! du vent, ou je m’en vais vous faire déguerpir à coups de balai, moi !
    Goguenards, les gamins s’éloignèrent quelque peu. Certains se mirent à chuchoter entre eux sans quitter Louis des yeux.
    Ce dernier récupéra son gourdin qui avait roulé plus loin et se remit debout. Une vieille femme se tenait sur le seuil de sa porte. C’était l’une des servantes d’une maison de pension pour étudiants où Louis devait faire sa toute dernière livraison de la journée. La voix de la vieille s’adoucit lorsqu’elle s’adressa à lui, presque comme à un bébé :
    — Allez, viens là, petit, que je te paie. Ben dis donc, tu n’es pas beau à voir ! Ce sont ces canailles, qui t’ont fait ça ? Ah ! les misérables. Tiens, prends. Il y a tout. Et tu feras savoir à ton père que nous en voulons deux douzaines de plus pour samedi. Essaie de venir plus tôt, d’accord ? On attend un nouveau groupe d’étudiants. Tu as bien compris ? Dis-moi si tu as tout bien compris.
    — Oui, dame. Deux douzaines. Et je viendrai plus tôt, répondit-il.
    — Très bien. Tiens, prends un sou de plus pour ta peine. Tu es un bon petit gars, toi.
    Elle tapota la joue sale du garçon, qui recula comme si elle avait menacé de le gifler. Elle fit semblant de ne pas le remarquer.
    Elle n’eut pas l’air de s’aviser non plus que la voix de Louis était sans timbre, mécanique, comme s’il ne faisait jamais que réciter des choses apprises par cœur.
    Lorsque la porte se fut refermée sur la femme, quelque chose de mou atteignit Louis dans le dos et tomba entre ses jambes. C’était une tête de saumon.
    — Tiens, le Ratier, mange si t’as faim ! On en a d’autres pour toi !
    Les garçons se mirent à bombarder leur victime avec des ordures ramassées un peu partout. Une grosse balle en argile, empruntée à un jeu de boules interrompu, l’atteignit à l’épaule. Désemparé, Louis se laissa glisser contre la porte et ne fit que se protéger le visage. Les enfants du quartier aimaient cela. Flanquer une bonne raclée de temps en temps à cette grande loque inoffensive était l’un de leurs jeux favoris.
    C’est un attrait irrésistible pour un groupe que de pouvoir se persuader de sa supériorité devant celui qui ne cherche plus à se défendre. Rien n’est plus grisant que de pouvoir se moquer sans risque de représailles. La faiblesse, parce qu’elle est celle d’un autre, devient dérisoire. L’autre devient lui aussi dérisoire. Ce qui lui est fait n’est pas sérieux, du moins le croit-on. Car il ne viendrait jamais à l’esprit collectif rudimentaire et inconséquent d’une telle bande que, par son jeu soi-disant anodin, elle dépose sur les braises de la forge un fer qui pourrait bien un jour être brandi contre elle.
    L’ennui, avec Louis, c’était que même s’il était aux abois il devenait vite lassant. Il ne réagissait jamais. La pluie de projectiles s’était mise à diminuer, et le

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