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Le jardin d'Adélie

Le jardin d'Adélie

Titel: Le jardin d'Adélie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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garçon put jeter un coup d’œil furtif au-dessus de son bras.
    — Allez, on s’en va. C’est vraiment rien qu’un taré, dit une voix.
    — Attends.
    L’un des enfants se détacha du groupe pour le narguer de plus près, comme cela survenait parfois. C’était Hugues en personne. Il s’accroupit devant Louis qui n’avait pas bougé et lui dit gentiment :
    — Mes copains et moi, on est affamés, tu le savais ? Hein ? On n’aurait qu’à lever le petit doigt pour te prendre ton pain, mais on le fait pas. Non, parce que tu es très, très laid, tu vois ? On n’en veut pas, de ton pain.
    Il y eut quelques ricanements. Satisfait de l’effet produit, Hugues dit encore :
    — Et puis, tu sens vraiment trop fort. Dis-moi, est-ce que tu sais ce que c’est que le savon ? J’imagine que, si tu te frottais très fort et pendant très longtemps, tu finirais peut-être par venir à bout de ta crasse et par ressembler à quelque chose. Tu ne comprends rien du tout à ce que je raconte, pas vrai ?
    Le regard imprécis de Louis s’était posé quelque part au-dessus de l’épaule droite de Hugues. Ce dernier inclina la tête pour tenter d’obliger son interlocuteur à le regarder.
    — Ou bien tu fais comme si on n’était pas là ? Mais c’est très impoli, ça. Que penserait ta petite maman si elle te voyait faire ?
    Le regard de Louis cilla et, l’espace d’une seconde, il s’accrocha à celui de Hugues dont la stupéfaction fut telle qu’il se retourna légèrement pour appeler :
    — Eh ! les gars, vous avez vu ?
    — Prends garde, Hugues ! interrompit l’un des spectateurs. Trop tard.
    Louis ne sut pas comment il se retrouva debout, le gourdin brandi. Hugues était à terre. Le chahut cessa net. Et ce fut alors que, pour la première fois, Louis se rendit compte à quel point son adversaire était petit. Il avait l’air insignifiant. Il couinait d’une façon ridicule. Les yeux de Louis s’animèrent d’un scintillement que nul n’y avait jamais vu jusqu’alors. Sa mâchoire saillante révéla un petit trou noir dû à la perte récente d’une dent de lait. En serrant le bâton de façon spasmodique, il s’approcha du garçon qui s’était assis en se frottant l’épaule.
    — Qu’est-ce qui te prend, pauvre merde ? dit Hugues.
    Louis éleva de nouveau son gourdin et frappa son tourmenteur à l’estomac. Il le regarda s’effondrer sur le côté, plié en deux, privé de souffle. Tout le monde se remit à crier. Quelques-uns s’avancèrent pour tenter de neutraliser ce gamin qui subitement leur faisait peur. Louis semblait à peine remarquer leurs cris et leurs manœuvres. Il se contenta de les éloigner en faisant de grands moulinets avec son arme.
    — Il tourne en avertin* !
    — Faut tirer Hugues de là, dit un autre.
    Mais Louis refusait de délaisser Hugues qui, encore haletant, essayait instinctivement de s’éloigner à quatre pattes. Il alla se planter au-dessus du chef de la bande, abandonna son bâton et repoussa Hugues d’un coup de pied dans le ventre. Ses orteils nus lui firent mal : il ne s’en soucia pas. Une telle révolte éclatait en lui qu’il se sentait tout à coup vivant. Il était quelqu’un. Il n’avait plus peur. Hugues allait payer pour tout le mal qu’il lui avait fait.
    Il se pencha pour soulever Hugues par sa tunique. Il assena au visage détesté un coup de poing si violent que l’autre tomba à la renverse, à demi assommé, et se mit à saigner du nez. « Pareil que moi », pensa distraitement Louis qui saignait du nez fréquemment. Il se jeta sur Hugues et se mit à le larder de coups au ventre et en pleine figure. Les autres firent cercle autour du corps à corps en criant des encouragements.
    Le combat cessa bien vite d’en être un. Hugues finit par ne plus remuer. Pourtant, Louis ne semblait pas le remarquer et continuait à le frapper de ses deux poings, partout où il pouvait l’atteindre. Il entreprit de lacérer ses vêtements à grands coups d’ongles qui tracèrent de profondes griffures sur sa poitrine. Il lui arracha des cheveux.
    Le fils d’un pâtissier du voisinage résolut de s’avancer prudemment et lui dit :
    — Ça va, le Ratier, ça va. Tu as gagné. Laisse-le, d’accord ?
    À bout de souffle, Louis se redressa et cligna des yeux éberlués en regardant autour de lui les gamins qui avaient cessé de se moquer. Il baissa de nouveau le regard sur Hugues, inanimé. Sa colère s’apaisait.

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