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Le jardin d'Adélie

Le jardin d'Adélie

Titel: Le jardin d'Adélie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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où il en était. Influençable et dans l’état de confusion où il se trouvait, il n’était plus capable de distinguer ce qui était vrai de ce qui aurait dû l’être ou de ce qui aurait pu l’être. Il lui fallait trouver une solution. Le mieux était de répondre quelque chose qui allait faire plaisir à son interlocuteur. Peu importait si ce n’était que fabulation, tous deux allaient enfin pouvoir se reposer.
    — C’est ça. Oui, j’ai fourni du pain au prévôt Marcel et aux Jacques. Beaucoup, beaucoup de pain.
    — Etienne Marcel est mort, tu le savais ? Il a été tué au moment où il allait livrer la ville.
    — Oh ! c’est dommage. Je l’aimais bien. C’est peut-être pour ça qu’il est venu me voir à la boulangerie. Ou bien ici. Je ne sais plus au juste. Ils sont nombreux à venir me voir. Les Jacques. Et Guillaume Carie, aussi.
    — Nous en savons assez pour l’instant, maître, intervint le magistrat. Emmenez-le et prodiguez-lui des soins. Nous allons délibérer.
    *
    — Vous êtes heureux, Baillehache ! s’exclama Firmin dont les yeux brillants de fièvre se posaient sur la cagoule de l’homme penché au-dessus de lui, de qui il apercevait par les trous pratiqués dans le tissu les deux prunelles rieuses.
    — Très heureux.
    — Alors moi aussi, je suis content, même si je n’arrive plus à me souvenir de ce que j’ai dit au juste.
    — Tu n’as dit que la stricte vérité. C’était tout ce dont nous avions besoin.
    — C’est bien vrai. Que va-t-il se passer, maintenant ? Je ne sais plus trop où j’en suis.
    — À la signature de la déposition, ton crime de haute trahison sera confirmé.
    — Ah oui. Merci pour la soupe. Ça m’a fait vraiment du bien.
    — Elle était bonne, n’est-ce pas ? Allonge-toi. Je vais te rafraîchir et te frictionner.
    Maîtrisant avec peine la nausée qui l’assaillait, Louis prodigua les soins annoncés à son père. Firmin ferma les yeux et se laissa faire avec reconnaissance.
    — Vous êtes si bon pour moi.
    — Tu t’es montré très courageux, Firmin. Je te félicite.
    Cette petite phrase, mieux que n’importe quel tourment, toucha Firmin au plus profond de son être. Il fondit en larmes sur son banc. Et, derrière sa cagoule, Louis sentait son visage se tordre. « Vas-y, pleure, vieux débris. Lamente-toi sur ton sort pendant que ton taré de fils t’en laisse encore la chance. Ton heure va bientôt sonner. »
    *
    Craindre de perdre l’esprit est l’une des peurs les plus pénibles. Sans raison apparente, un homme peut se mettre à s’arracher les ongles ou les cheveux. Un accès d’angoisse frôlant le délire déforme son univers et il n’y a que la douleur pour le ramener à la réalité.
    Par deux fois, Firmin rêva qu’il se faisait battre par le Ratier avec l’un de ses propres bras qu’il lui avait coupé pour le dévorer. Et le Ratier lui souriait en mâchant un lambeau de chair sanglante qui lui pendait au coin des lèvres. Lorsqu’il se réveilla, les deux fois, il découvrit sur son bras ses propres morsures qu’il prit pour celles de son fils.
    Rien n’était pire que les périodes d’attente entre deux sessions de torture. Pour son bourreau, chaque séance pouvait ne durer que quelques minutes. Mais pour lui, il n’y avait aucun répit, car l’angoisse meublait tout vide.
    Firmin avait peur. Avec le retour de sa lucidité qu’un peu de repos lui avait rendue, le détenu prenait pleinement conscience de ce qu’il avait fait avec sa réalité à lui, qui n’était déjà plus celle des autres. Etienne Marcel, qu’il n’avait jamais admiré que de loin, était pour eux devenu son principal bénéficiaire. C’était la réalité qu’ils avaient souhaitée ; il l’avait donc créée pour eux. Pendant un moment, il avait été jusqu’à y croire lui-même. « Mais je suis innocent. Je suis presque innocent », se dit-il. Il ne pouvait plus être question de se rétracter maintenant. Les aveux devaient se poursuivre. Tant qu’ils allaient en demander. Il ne voulait plus avoir mal. Mais il lui fallait à tout prix revendiquer un contrôle, même relatif, sur sa situation qui était en train de lui échapper. Il n’y avait d’autre issue possible que celle de collaborer avec Baillehache et de lui faire confiance. Lui allait le guider dans sa démarche. Il avait été formel : un aveu complet lui donnait une chance d’être acquitté. Une chance très minime, il l’avait

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