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Le jardin d'Adélie

Le jardin d'Adélie

Titel: Le jardin d'Adélie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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serais incapable. Oh, des fois ça m’est bien arrivé de cogner un peu, mais bon… Eh ! eh ! qu’est-ce que vous voulez, c’est le caractère. On se comprend ?
    — Bien sûr.
    — J’avais un gamin, chez moi, dans le temps. Un taré, que c’était. Pour lui enfoncer le moindre truc dans le crâne, fallait que je tape dessus. J’ai dû en avoir gardé l’habitude. Ah, ça fait vraiment du bien, ce que vous faites là. Ça rafraîchit. Merci de me laver.
    — Pas de quoi. C’est la moindre des choses. Tiens, prends ça, c’est bon pour le ventre.
    Il lui donna à boire un gobelet d’infusion tiède de millepertuis aromatisée au fenouil {177} . Firmin le but avidement.
    — Oh ! que c’est bon, putain que c’est bon. Je n’ai jamais rien goûté de pareil.
    Firmin n’était plus le même homme : Baillehache savait par expérience que les seuls effets de l’isolement, de la fatigue, de l’anxiété, du manque de sommeil, de l’inconfort dû à la température et à la faim chronique produisaient chez presque tous les prisonniers des dérèglements organiques qui entraînaient de tels changements d’humeur, d’attitude et de comportement. Le corps humain est incapable de supporter simultanément autant d’assauts. Le moindre soin apporté au condamné pouvait être perçu comme de la gentillesse.
    — Qu’est-il arrivé à ce gamin ? demanda-t-il.
    Firmin regarda pensivement ses mains. Dans le silence subit, Louis entendait son propre cœur battre la chamade. Firmin leva la tête vers le bourreau et répondit :
    — L’a crevé comme une bête. Ça m’a fichu une de ces trouilles.
    Il haussa les épaules.
    — Mais qu’importe, puisque c’était juste un pauvre taré.
    Louis cligna des yeux pour combattre l’envie de les fermer, de soustraire à sa vue ce misérable qui, même dans l’état où il se trouvait réduit, ne manifestait aucun signe de regret. Il combattit l’ardent désir de prendre sa dague et d’en enfoncer la pointe sous la chair flasque qui ourlait les petits yeux larmoyants, ou de prendre une paire de pinces, d’y emprisonner sa langue et de tirer, tirer jusqu’à ce qu’elle finisse par céder. Mais Baillehache se retint. Il dit, d’une voix douce :
    — Nous allons devoir nous mettre au travail, maintenant. Navré.
    — Oh, je ne vous blâme pas. Tout est la faute au roi et à ses ministres. Soyez sans inquiétude : je dirai tout afin de vous éviter des ennuis de la part de vos chefs. Hé, qu’est-ce que c’est ?
    — Je dois te mettre une cagoule. Ils ne veulent pas que tu les voies.
    — Merde, merde, je n’aime pas ça. C’est que ça m’énerve. Mais d’accord. Ça va. Je ne devrais pas avoir peur, puisque vous êtes là. Et votre visage à vous est toujours caché. Je n’en mourrai pas si je porte moi aussi une cagoule pendant une heure ou deux, hein ? Comme ça on se ressemble. Eh ! eh !
    Louis émit un petit bruit.
    — Qu’est-ce qu’il y a ? Ça va pas ?
    — Rien de grave. J’ai un peu mal au cœur, mais ça va passer.
    — Ah, c’est pas bon, ça. Vous vous fatiguez trop. Je me rends compte à quel point c’est précieux, la camaraderie humaine. Même avec les Jacques, je ne l’ai pas sentie comme ça. Sans blague. Vous êtes la seule personne chaleureuse et sympathique dans toute cette saleté de ville. La corporation ne fait rien pour moi et les moines non plus. Même ma putain de famille m’a laissé tomber.
    « Pas besoin de torture pour le faire causer, celui-là », songea Baillehache. Il s’adressa à Firmin :
    — Allez, on y va. Laisse-moi te conduire. Lorsqu’ils en auront terminé, ils te feront lecture d’une déposition. La signeras-tu pour moi afin que je puisse la présenter aux juges ?
    — Vous pouvez compter sur moi. Pas question que vous soyez puni par ma faute.
    — C’est vraiment trop de bonté. Je suis touché. Attention aux marches. Voilà. Il y en a d’autres. On y est presque.
    Alors qu’une main ferme et sécurisante se refermait sur son bras et le guidait, Firmin sentit une bouffée d’air frais traverser l’étoffe malpropre de sa cagoule. Il fut saisi d’un vertige.
    — Doucement, dit Baillehache, qui le laissa s’appuyer un instant contre lui.
    — Excusez-moi… C’est drôle, on dirait que je suis saoul tout à coup.
    — C’est normal. Tu respires de l’air vicié depuis trop longtemps. On continue ? Ils t’attendent. N’aie crainte, je te

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