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Le jardin d'Adélie

Le jardin d'Adélie

Titel: Le jardin d'Adélie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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pour ne jamais cesser. Il vous entraînait vers l’éternité des saints et vous plongeait dans un état second qui avait le don de vous faire percevoir de nouveau l’apaisant murmure de l’âme. « Tu as tout donné à Dieu, sauf l’humilité. Tu tiens trop à la tienne. Il est temps que tu donnes cela aussi. »
    —  Ora pro nobis.
    « Mais je me suis retiré du monde. Je n’ai plus rien à lui dire », songea Lionel.
    « Si », répondit son âme.
    Et ce fut le silence.
    *
    Un mois plus tard
    Juste après matines, le père Lionel fut informé que l’abbé l’attendait dans son étude. Ce genre de convocation était inhabituel et suscitait immanquablement un brin d’inquiétude. Qu’est-ce que ce serait, cette fois ? Il avait accepté de devenir prêtre, mais l’abbé aurait dû savoir qu’il ne pouvait garantir qu’il en serait un bon. Cela importait peu, d’ailleurs, car rien n’avait changé. Tout continuait comme avant et il en était heureux. Les gens qui venaient le voir savaient qu’il était prêtre et qu’il pouvait les bénir. C’était suffisant. Il y avait trop longtemps qu’il était parvenu à engourdir sa volonté et sa capacité de raisonnement dans les oraisons balbutiées, dans les mouvements lents, étriqués, dans la bienfaisance répétitive de la vie monastique, prière, travail et repos. Prière, travail et repos comme le flux et le reflux de la mer, quelquefois orné d’un coquillage ou de bois flotté qu’on nommait repas ou ministère. Les nuits de prière n’avaient d’importance que pour ces journées qui filaient sans laisser de traces. Les vilaines arêtes de ce qu’il y avait au-delà du portail s’étaient émoussées grâce au patient travail de polissage de la mer. Et puis, il y avait le petit Jehan.
    Lionel sourit tandis qu’il marchait dans le long déambulatoire dont l’un des côtés s’ouvrait sur un jardinet. « Jehan », c’était la perle que l’on avait ramassée un matin sur le sable tiède de son existence. Il se plaisait à regarder l’enfant s’épanouir et cela suffisait amplement à insuffler en lui un lointain parfum de paternité que les vapeurs émollientes de l’encens n’étaient pas parvenues à éliminer.
    —  Ave, dit la bonne vieille voix de l’autre côté d’une porte qui devait bien avoir une paume d’épaisseur.
    Lionel se glissa à l’intérieur et referma derrière lui. Il attendit.
    — Venez vous asseoir, mon père, dit Antoine.
    Le grand moine s’exécuta avec gêne à cause du voussoiement auquel il n’arrivait pas à s’habituer. Antoine prit place devant lui, de l’autre côté d’une humble table où étaient posés une chandelle, un encrier avec sa plume et un palimpseste* fraîchement gratté. Antoine posa les coudes sur la table et forma un clocher avec ses mains jointes qu’il appuya contre son nez pensivement, soustrayant partiellement à sa vue le visage anguleux de Lionel.
    — J’ai toujours trouvé que vous étiez destiné aux cisterciens ou même davantage à un ordre mendiant tel que celui des franciscains plutôt qu’au nôtre. La pauvreté, sœur de la charité, est leur idéal. Ils aspirent à ne rien posséder. Hélas, cela n’est pas aussi facile qu’on le croit. Ils mendient, ils reçoivent : le pain, même reçu pour un jour, n’est-il pas une possession ? Et, une fois les aliments assimilés, mêlés à leur chair, peut-on dire qu’ils ne sont pas à eux ? Je reconnais en vous cet effort de renoncement pour survivre à la vie.
    Lionel écoutait attentivement, l’air recueilli. Antoine dit encore :
    — C’est là la raison essentielle de votre ordination, mon père. Car, même si vous persistez à le nier, vous êtes d’abord et avant tout un homme qui doit accepter de vivre avec les tares d’un homme. Le prêtre, dans son ministère, doit affronter la faiblesse humaine chaque jour et en faire sa force. Voilà. Il fallait que vous sachiez ces choses.
    Le mystique ne bougea pas, mais quelque chose dans sa posture évoqua le cerf en alerte. L’abbé reprit :
    — Maintenant, père, j’ai à vous parler de choses très importantes. Il s’agit du petit Jehan.
    Ses mains jointes se déplacèrent légèrement de côté pour lui permettre d’apercevoir un bref scintillement dans les prunelles sombres et secrètes du saint homme qui avait soudain relevé la tête.
    Il avait conservé l’habitude de la garder humblement baissée. Il cherchait peut-être sans

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