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Le jardin d'Adélie

Le jardin d'Adélie

Titel: Le jardin d'Adélie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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prière.
    — Vous irez demain soir au Châtelet. Mon père, me comprenez-vous ? Allez le voir. Restez avec lui pour sa dernière nuit et accompagnez-le à l’échafaud comme tout homme de Dieu a mandat de le faire lorsque c’est requis. Je vous ai toujours épargné ces pénibles devoirs…
    Antoine s’interrompit comme si une douleur subite venait de lui faire perdre le souffle. Car il avait mal. Mal de ne pouvoir tout dire.
    — … mais, cette fois, je ne le puis. Les épaules de l’homme s’affaissèrent. Antoine vit le petit scintillement des prunelles vaciller, s’agiter comme une flamme prise de panique sous le souffle qui va l’éteindre. Lionel attendit que sa solitude réponde à sa place. Elle ne le fit pas. Il se passa la langue sur les lèvres.
    — Le sait-il ? demanda l’aumônier d’une voix depuis longtemps inutilisée qui tressautait comme une feuille morte sur les pavés.
    — Pas encore. À vous revient aussi la charge de le lui annoncer. Le bailli est déjà prévenu de votre visite et il prendra les arrangements nécessaires. Demain matin, vous mènerez Jehanne chez les Garnier. Ce sont là deux tâches très ardues, je le sais. Mais vous les accomplirez, mon père, avec l’aide du Seigneur. Faites cela comme vous avez fait tout le reste. Continuez à tendre vers la sainteté.
    — Je ne l’ai pas fait dans ce but.
    — Je sais. Les saints non plus. Permettez-moi de vous bénir.
    Lorsque la grille du portail s’ouvrit le matin suivant pour livrer passage à un bénédictin accompagné d’une fillette qui passait son temps à tirer sur son corsage, Antoine les regarda tristement partir depuis la fenêtre ouverte de son étude. Il savait que le père Lionel partait pour ne plus jamais revenir. Qu’il aurait ensuite à porter le faix. Jusqu’à la fin.

Chapitre XIV
    Lex talionis
    (Loi du talion)
    Paris, été 1358
    Même après des années, Notre-Dame l’avait appelé vers elle. Il avait franchi le portail du Jugement dernier pour assister à la messe dominicale. En levant les yeux sur le Christ, imperturbable sur son trône, il se souvint comme cette effigie l’avait effrayé jadis. Alors qu’il s’était tapi derrière un chapiteau autour duquel se tordaient des créatures naines, il remarqua l’une d’elles qui le regardait avec des orbites noires, béantes. On aurait dit qu’elle craignait son jugement à lui.
    Il sentait la beauté de la cérémonie lui échapper comme les fumées d’encens qui allaient se perdre sous la ramure pétrifiée des arcs-boutants où courait en s’enroulant une dentelle crayeuse de pampres. Il y porta le regard après avoir reçu l’hostie, ce petit morceau de pain qui lui rappelait Adélie plutôt que Jésus dont, en fin de compte, il savait si peu de chose.
    Le grand crucifix lui offrait pourtant une image qu’il pouvait désormais déchiffrer mieux que quiconque. Il devinait les crampes et l’interminable asphyxie qu’avait dû subir Jésus dans sa lente agonie. Mais il ne comprenait pas le pourquoi de sa mort. « Par amour pour nous », lui avaient dit les moines. C’était précisément cela qu’il n’arrivait pas à comprendre. La mort n’était qu’une chose abjecte. L’amour n’avait rien à y voir. « Et en plus, les clous dans les mains, c’est impossible. Ça ne supporte pas le poids du corps. Faut clouer aux poignets. Qu’est-ce que je suis en train de penser là ? Merde ! »
    Il décida d’aller faire un tour en haut et il fut surpris de voir que l’escalier en colimaçon ne le dérangeait plus ; le travail dans des donjons l’avait endurci. Il n’avait plus mis le pied au faîte de la tour depuis son enfance. Une fois qu’il eut atteint la galerie de la Vierge, il s’appuya au garde-fou pour admirer, tout en bas, les luisantes écailles rouges ou noires des toits. Il était seul. « D’ici, ils verront tout, se dit-il en admirant le panorama du côté de l’Hôtel de Ville devant lequel s’étirait la place de Grève. Toute la ville saura. »
    Une brise égarée vint taquiner ses cheveux et lui en rabattit une mèche, toujours la même, dans les yeux. Il lui fallut se plier aux caprices de cet été trop chaud et redescendre. Le ciel se barbouillait de cendre. D’orgueilleux nuages bouffis de ténèbres commençaient à parader avec une lente solennité annonçant l’orage.
    Tandis que Louis traversait la place déserte en direction des geôles, un vieux chien somnolent tituba

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