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Le jardin d'Adélie

Le jardin d'Adélie

Titel: Le jardin d'Adélie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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en avoir conscience à diminuer de quelques pouces sa haute taille qui dominait trop celle des autres.
    — Vous l’aimez, dit Antoine.
    Le regard un peu fuyant de Lionel – cela rappela quelque chose à l’abbé, mais il ne parvint pas à se souvenir quoi – s’accrocha un instant à celui du moine replet, juste le temps d’un signe d’assentiment presque imperceptible. Il baissa à nouveau la tête où se formulait silencieusement une prière : « Seigneur, prenez mes oreilles, que je n’entende plus. » Ses mains osseuses se croisèrent frileusement sur son giron et cherchèrent à se réconforter l’une l’autre, alors que l’abbé poursuivait doucement.
    — Rassurez-vous, je ne vise pas ici à vous rappeler que c’est défendu. Vous savez cela aussi bien que moi. Mais, à six ans, il est plus que temps que le vrai prénom de cette enfant au moins lui soit rendu et qu’elle soit confiée à des gens de bien qui non seulement sauront l’élever, mais qui lui permettront aussi de grandir comme une enfant normale.
    La chandelle crépita et sa flamme monta trop haut pendant quelques secondes, comme si elle cherchait à attirer l’attention des deux hommes.
    — Comprenez-moi bien, père. Je ne désapprouve pas votre attachement envers elle, car je le sais dénué de tout désir impur. Mais la question n’est pas là. Elle grandit. Les murs d’un couvent sont la cible de bien des rumeurs. Éventuellement, on s’apercevra de la supercherie et sa véritable identité sera découverte. Cela risque de nous attirer des calomnies, sinon des accusations.
    Le regard de Lionel s’égara sur l’une des dalles du plancher dont il suivit la fêlure en forme de branche. Antoine reprit :
    — C’est pourquoi je vous charge dès demain de la conduire personnellement… voyons…
    L’abbé se mit en quête d’un bout de parchemin qu’il trouva bientôt.
    — Rue de Montmorency, chez une dame Garnier. Elle habite en face d’une librairie. Il s’agit, m’a-on dit, d’une parente éloignée de sa défunte mère. C’est une femme d’excellente réputation et elle a déjà deux filles dont l’une est à peu près du même âge que Jehanne.
    Le nouveau prêtre fit un signe de tête. Son obéissance allait de soi et Antoine n’en douta pas un seul instant. Lionel était ce palimpseste : on avait écrit dessus maintes et maintes fois ; il avait été gratté jusqu’à la déchirure, mais, docile, il n’avait jamais cessé de s’offrir à la plume du Très-Haut.
    L’abbé se leva pour aller prendre un havresac qui avait été déposé dans un coin de la pièce. Il l’apporta et l’ouvrit devant Lionel.
    — Nous avons trouvé des vêtements civils pour la petite. Il faudra les lui passer avant votre départ.
    Le grand moine regarda vaguement la robe de bougran* qu’Antoine déposa sur le dessus du sac. Il se rassit sans quitter son confrère des yeux. Le silence qui retombait dès que la voix d’Antoine le permettait parut changer de qualité : une pensée encore invisible s’y répandait lentement comme de l’encre renversée.
    — Il y a autre chose, dit l’abbé d’une voix douce.
    Les nuées paisibles qui flottaient dans l’esprit du mystique furent encore une fois dérangées par un courant d’air. Son regard se posa d’une manière un peu plus précise sur le visage de son interlocuteur, qui poursuivait son monologue forcé :
    — J’ai appris que Firmin Ruest est engeôlé au Châtelet depuis un mois, peut-être même deux. Il a été jugé hier pour avoir soutenu les dangereuses revendications des Jacques Bonhomme et il sera exécuté après-demain à tierce en place de Grève.
    Les dernières vapeurs d’encens se dissipèrent dans la tête de Lionel. Il ne bougea pas, se contentant de déglutir péniblement.
    — Je suis désolé. Père Lionel…
    Le moine muet regarda autour de lui d’un air effaré. Rien n’avait changé. Le même pilier trapu se tenait à sa droite, tel un cerbère, et la chandelle n’avait qu’un peu fondu. Le parchemin blessé attendait encore sur la table dont il détailla tout à coup chaque rainure. Ses yeux hagards se posèrent à nouveau sur l’abbé, avec l’air de demander : « Qu’essayez-vous de me dire ? »
    — Lionel.
    La voix de l’abbé tonna à ses oreilles comme s’il avait été atteint de surdité partielle pendant vingt-cinq ans et s’en trouvait tout à coup guéri. Il sursauta. Dieu n’avait pas exaucé sa

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