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Le jardin d'Adélie

Le jardin d'Adélie

Titel: Le jardin d'Adélie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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ça va. C’est passé.
    — Bien… Quelle est votre préférence, alors ? Le maillet ?
    — Non. La barre. Pas de gants.
    Le bourreau alla ramasser une lourde barre de trois pieds de long et de deux pouces carrés d’épaisseur. La foule retint son souffle. Le silence devint tel que tous purent entendre le craquement du plancher sous son poids quand il prit position et éleva l’instrument.
    Visant l’avant-bras droit, Louis frappa comme s’il fendait du bois. La barre s’abattit avec un bruit mat, sinistre, écœurant sur l’os long qui n’avait aucun soutien. Le cubitus et le radius se brisèrent comme de la faïence. La barre rebondit contre la solive et vibra dans les mains et les bras de Louis alors qu’un cri sauvage s’élevait. Il eut vaguement conscience que la foule excitée l’acclamait.
    Fou de douleur, Firmin fixait des yeux l’homme qui déjà se dressait pour frapper de nouveau. Mais Louis n’eut pas un seul regard pour lui. Son attention était concentrée sur l’humérus qui, l’instant d’après, était réduit à l’état d’esquilles. Firmin cria à en perdre la voix, la tête sans appui rejetée en arrière, tirant sur ses liens ensanglantés. Le bienheureux répit de l’inconscience se refusait désormais à lui.
    Le bourreau se déplaça de l’autre côté de la croix pour frapper l’autre bras. De la transpiration dégouttait du visage blafard de Firmin. Ses cris étaient stridents, inhumains.
    — C’est bien fait, sale Jacques ! cria une mégère édentée, bientôt imitée par ses voisins.
    Louis appuya la barre contre sa jambe pour s’essuyer les mains sur son tablier. Il prit son temps pour rompre les jambes, administrant à chacune les deux coups prescrits par la loi. La foule était enthousiaste : c’était un gars qui savait s’y prendre pour faire durer son homme le plus longtemps possible.
    Le moine dont les grandes mains blanches s’étaient frileusement dissimulées dans les manches de sa coule sursautait à chaque coup. Il suivit des yeux les calmes déplacements du bourreau et ses deux mains serrées sur la barre qui s’élevait. Il vit le visage hermétique, les yeux baissés sur le corps disloqué comme s’il s’agissait d’une chose. Un tel visage se passait de cagoule.
    Firmin reçut ainsi huit des onze coups réglementaires, le dernier étant habituellement le coup de grâce porté au cœur, à l’estomac ou à la nuque. Les chairs autour des liens se boursouflaient et les zones écorchées qui avaient été frappées directement s’étaient mises à saigner abondamment. Firmin geignait sans arrêt.
    Les neuvième et dixième coups défoncèrent la cage thoracique. Le hurlement de Firmin fut cassé par la secousse, mais il reprit de plus belle après le choc. Pour le onzième et dernier coup, Louis abattit de toutes ses forces la barre sur son nombril, lui écrasant la colonne vertébrale, sectionnant plusieurs nerfs, broyant les viscères et les reins {185} .
    Le bourreau déposa la barre et approcha son visage de celui de son père. Les plaintes de Firmin évoquaient les vagissements d’un bébé. Il bavait de la salive rosâtre.
    — Je n’en peux plus, marmotta-t-il. Louis répondit tout bas :
    — Père, vous n’aurez pas le retentum {186} . Je vous avais prévenu : vous mourrez longtemps.
    Il s’adressa aux assistants et se fit apporter un banc sur lequel il s’assit pour attendre. La foule commença à se disperser. Les vide-goussets qui avaient sévi pendant le spectacle s’en retournaient, satisfaits de leur journée, en sifflant un petit air.
    Firmin était devenu une larve délirante. À intervalles réguliers, des spasmes douloureux lui arrachaient de la gorge des râlements semblables à ceux d’un cochon que l’on saigne. Mystérieusement avertis, des corbeaux étaient apparus sur les toits.
    — Je reviens, dit Louis aux assistants.
    La foule s’ouvrit comme par magie lorsqu’il descendit de l’échafaud et se rendit à l’hôtel de la prévôté pour réclamer sa prime. Personne ne le bouscula ni ne lui cria d’injures. Nul n’osa poser les yeux sur son visage de pierre qui n’était pas celui d’un homme.
    Plusieurs heures passèrent. Louis avait repris sa place sur son banc. Firmin ne mourait pas. Des silences de plus en plus prolongés laissaient croire à son trépas jusqu’à ce que de faibles gémissements se fassent à nouveau brièvement entendre. Le fil ténu qui le retenait encore ne se

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