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Le jardin d'Adélie

Le jardin d'Adélie

Titel: Le jardin d'Adélie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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tu reviendras chercher la charrette au gibet. J’ai à faire.
    — Bien, maître.
    Louis porta le corps sans tête de Firmin jusqu’à la charrette et l’y jeta sans ménagements. Il quitta la place en guidant le mulet. Le petit paquet taché reposait dans la charrette, à côté de Firmin. Des gens se pressaient autour.
    — Non, je n’ai rien à vendre, leur disait-il sans s’arrêter. Il a trépassé sans remords {190} . Passez votre chemin. Allez-vous-en.
    Plus rien ne devait subsister de Firmin. Il était indigne d’être transformé en amulette. Déçus, les gens se retiraient sans trop insister.
    Un vent d’humeur changeante se levait lorsque l’attelage arriva cahin-caha sur le chemin menant au gibet de Montmigny, une annexe de Montfaucon {191} . Le bourreau mit le mulet à l’attache et se noua autour de la tête un mouchoir imbibé d’eau camphrée avant de se charger du cadavre mutilé. Le petit paquet demeura dans la charrette. Louis gravit une échelle appuyée à l’une des fourches patibulaires. Immédiatement, il fut assailli par un tourbillon de mouches et de taons. Des hordes de corbeaux éparpillaient leurs cris grinçants pour protester contre l’intrusion d’un homme vivant dans leur repaire de charognes. Des paniers d’osier et des sacs de cuir à demi déchiquetés par les coups de bec étaient remplis de restes en décomposition qui allaient éventuellement être retirés pour être jetés dans le charnier au centre de la plate-forme. La vue d’orbites suintantes et d’abdomens ouverts d’où s’échappaient des morceaux d’intestin grouillants de mouches vertes soulevèrent l’estomac du bourreau. Louis dut s’arrêter et se pencher pour rejeter un peu de bile. Malgré plusieurs années de pratique, le gibet lui faisait toujours beaucoup d’effet, surtout lorsqu’il était fatigué. Ça lui rappelait trop la peste. Il suspendit le corps nu de Firmin Ruest par les aisselles à l’aide de cordes. C’était là l’ultime action de justice qu’il avait à accomplir.
    Il revint vers la charrette et retira son tablier qu’il roula en boule pour le lancer dedans avant de prendre le paquet. Guy arrivait pour ramener l’attelage.
    Une autre ombre furtive avait suivi la trace du bourreau sans éveiller l’attention.
    Au lieu de s’en retourner à Saint-Denis, Louis se faufila sans bruit dans de petites rues désertes, où les objets paraissaient diffus à cause de la lumière déclinante et d’un léger brouillard dont on ne savait pas s’il était fait d’humidité ou de fumées errantes. Il prit la direction du cimetière des Saints-Innocents en portant le paquet sous son bras gauche. Avant son arrivée là-bas, l’ombre qui le suivait fut rejointe par deux nouvelles ombres qui, en sa compagnie, continuèrent à suivre Louis de loin en silence. Le contour des choses et des êtres devenait de plus en plus imprécis. L’air crépusculaire les dépouillait de leur relief pour en faire des créations spectrales qui, peut-être, n’existaient pas.
    Louis erra longtemps dans l’enceinte du cimetière. Il ne trouva pas ce qu’il cherchait. L’église et les charniers à la construction desquels, disait-on, Nicolas Flamel avait contribué, portaient des signes étranges qu’il y avait laissés. Le site avait beaucoup changé. La fosse commune de ses souvenirs était devenue une colline basse à la surface de laquelle, çà et là, des ossements affleuraient.
    — Rien à faire. Elle n’y est plus. Je ne la sens pas, marmonna-t-il.
    Et le jardin demeurait introuvable. Un son étouffé sortit de la bouche du géant, qui se détourna brusquement. Les ombres eurent tout juste le temps de se glisser dans une venelle hors de l’enceinte. Louis passa devant eux, tête basse, sans les remarquer. Elles le virent entrer dans l’une des guinguettes que Firmin avait assidûment fréquentées. Il n’en ressortit pas.
    *
    Ceux qui l’avaient filé résolurent de s’installer dans un coin obscur, négligé par le guet, pour l’attendre.
    — Mon père, je me faisais du souci pour vous, dit tout bas Nicolas Flamel, qui tenait la petite Jehanne par la main.
    Lionel ne répondit pas. Ses mains étaient enfoncées dans ses manches et son capuce de bure dissimulait inutilement son visage que l’obscurité environnante à elle seule rendait presque impossible à distinguer. Seules les luisances de deux prunelles manifestèrent leur présence. Le moine se contenta de faire un

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