Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Le jardin d'Adélie

Le jardin d'Adélie

Titel: Le jardin d'Adélie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
Vom Netzwerk:
l’innocence de son émerveillement d’enfant. Elle n’aimait pas cette ombre qui s’y dessinait parfois lorsqu’il était laissé à certaines pensées. Elle ne la comprenait pas. Cela donnait à Louis un visage d’adulte et il avait presque l’air d’un étranger. Elle sentait que cette nouvelle chose lui échappait, qu’elle ne savait pas tout de son fils. Il y avait en lui quelque chose de latent, de malsain, et cela lui faisait peur. Dans ces moments-là, elle appelait doucement :
    — Louis ?
    Il posait les yeux sur elle et redevenait lui-même. L’ombre cessait d’exister. Après tout, ce n’était peut-être qu’un mirage, un effet de la lumière déficiente.
    Adélie se disait que son imagination débridée lui nuisait souvent davantage qu’elle ne lui était utile. Il lui fallait éviter de se rappeler qu’elle avait failli avoir le privilège d’apprendre à lire. Ce genre d’extravagances était réservé aux châtelaines, pas à une simple boulangère. Une femme qui avait de l’esprit était souvent perçue comme dangereuse par son mari. La situation en devenait infernale si le mari se savait dépourvu d’intelligence. Firmin correspondait à ce modèle. Louis avait su d’instinct quoi faire : mieux valait laisser son intelligence en berne derrière un personnage sans relief si l’on voulait survivre.
    Mais pourquoi avait-il fallu que ce bel enfant intelligent paie pour la faute qu’elle seule avait commise ?
    — Allons vérifier la pâte, dit-elle après en avoir terminé avec sa toilette.
    Louis sauta en bas de son tabouret et jeta un coup d’œil sur la bûchette.
    — C’est prêt !
    — Bien. Nous allons la débiter en gros pâtons. Je crois que je vais faire quelques pains bis aussi. Mettons donc un pâton de côté. Lui n’aura plus besoin d’être pétri à nouveau. Tiens, fais-en des pains pendant que je m’occupe d’étirer et de plier les autres pour les aérer et les laisser lever encore un peu. N’oublie pas de les peser ensuite. Car en plus des exigences du client, nous devons respecter celles de la loi.
    Leur balance certifiée avait été délivrée par le Grand Panetier du roi. Tous les boulangers devaient se conformer aux normes établies par la corporation. Lorsque Louis en eut terminé, il vint prêter main-forte à sa mère qui pétrissait toujours de grosses masses de pâte sur le plan de travail avant de les déposer dans des bannetons, de petits paniers en osier à fond toilé, afin qu’ils continuent à y gonfler.
    — Ça va comme ça ? demanda l’enfant en lâchant sa grosse boule de pâte blonde. Son visage et son dos ruisselaient de sueur.
    — Pétris-la encore un peu, sinon cela va donner un pain trop dense. Il faut que l’air puisse bien y pénétrer, pour que le levain agisse et rende la pâte légère. Et va te relaver le visage, les bras et les mains. N’oublie jamais de le faire régulièrement.
    L’enfant se hâta de retourner dans la maison, où un nouveau seau d’eau propre était posé près de la pierre d’évier. Adélie vérifia discrètement sa boule de pâte. Elle était presque à point. Décidément, l’opiniâtreté silencieuse de ce garçon en faisait un apprenti admirable. Elle ne se doutait pas que Louis n’avait de cesse que d’avoir acquis suffisamment de force physique pour devenir un bon pétrisseur et que sa mère puisse ainsi se reposer. Il se remit à l’ouvrage après avoir songé à apporter le seau d’eau de rechange.
    Le ciel se teintait d’un bleu blafard lorsque Adélie recouvrit les hannetons d’un linge propre.
    — Il faut les protéger des courants d’air, maintenant, sinon une pellicule sèche se formera dessus. Tiens, aide-moi à déplacer la pâtière* par là, mais pas trop près du four. Voilà. Tu sens comme la température est juste comme il faut, ici ? En hiver, je dois la poser plus près.
    — On en est au soufflage.
    — C’est ça. L’air emprisonné dans les pâtons va continuer à les gonfler. Pendant ce temps, je vais moi aussi faire ma toilette et me changer.
    Louis sortit dans la cour afin d’aller se soulager. Sa mère avait prévu d’emporter des vêtements propres pour eux deux. Elle avait pris pour son fils le petit ensemble gris. Après tout, n’était-ce pas un jour de fête ?
    — On y est, dit la voix d’Adélie au retour de Louis. Elle avait déjà commencé à ratisser les tisons pour les retirer du four. Seules quelques braises y furent

Weitere Kostenlose Bücher