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Le jardin d'Adélie

Le jardin d'Adélie

Titel: Le jardin d'Adélie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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s’étonna pas d’entendre sa mère gémir sous l’effort : même son père, dont les bras noueux et puissants brassaient la pâte comme une chose vivante, se lamentait sans retenue à l’étape du pétrissage. Son dos nu se couvrait de sueur que Louis était chargé d’éponger pendant qu’il travaillait afin que la sueur ne vînt pas souiller la pâte {25} . Des taches s’agrandirent dans le dos et sous les aisselles d’Adélie, mais elle ne s’arrêta que lorsque toute la pâte fut pétrie et évaluée au toucher. Elle dut ensuite s’asseoir. Ses bras et ses épaules étaient pris de tremblements musculaires. Louis s’occupa de mettre la pâte au repos sous des linges afin de la laisser fermenter. Cela s’appelait le couchage.
    — Pose une bûchette sur la pâte, mon petit roi. Cela va t’aider à vérifier le niveau de fermentation. Elle sera prête à servir lorsqu’elle l’aura soulevée de ceci.
    Elle montrait à son fils une hauteur d’un peu plus d’un centimètre.
    Louis obtempéra et servit à sa mère un reste de cidre.
    — Reposez-vous, Mère.
    — Pas trop longtemps. Il faut que je me lave un peu et que je m’occupe du four. Vérifie donc pour moi s’il a atteint sa chaleur.
    Louis ne savait pas encore intuitivement reconnaître la température idéale requise pour la cuisson du pain. En revanche, Adélie lui avait enseigné une petite astuce : il frotta un bâton contre la chapelle du four et se tourna vers sa mère.
    — Il n’est pas encore prêt, ça n’a pas fait d’étincelles. Mais on n’a plus besoin d’y mettre de bois.
    — Alors viens t’asseoir, toi aussi. Ne me laisse pas paresser toute seule.
    — Il y aura une fontaine, dans notre jardin, dit soudain Louis en rejoignant sa mère. Au milieu, comme celle que j’ai vue chez l’abbé. Et toute blanche avec des oiseaux qui se baignent dedans.
    — Mais où sera donc le grand chêne ? demanda Adélie.
    — C’est vrai… Nous mettrons la fontaine au pied de l’arbre. Ça fera joli, non ?
    — Très joli. Excellente idée. Nous ferons pousser des rosiers tout autour.
    — Nous aurons des châtaigniers.
    — Et des ruches pour le miel.
    — N’oublions pas le vivier. Et vous aurez une mandore pour faire de la musique toute la journée, puisque ça vous plaît.
    — De la musique…
    Comme c’était étrange. Hormis cette nuit-là, Louis ne l’avait pour ainsi dire jamais entendue chanter ; elle n’en avait plus eu le temps depuis des années. Ni le goût, d’ailleurs. Néanmoins, la musique était venue s’insérer d’elle-même tout naturellement dans leurs rêveries innocentes. Louis savait-il en son for intérieur, plus ou moins consciemment, que jadis sa mère avait été très différente ? Elle en eut soudain la certitude en raison de ce qu’il lui avait dit un peu plus tôt.
    Parfois, elle s’en voulait d’alimenter comme du bon levain cette chimère de jardin qu’ils ne verraient sûrement jamais se concrétiser. Ne valait-il pas mieux apprendre à son fils à accepter la résignation réaliste qui était son lot à elle ? Elle ne pouvait s’y résoudre. Quelque part en elle, une voix lointaine, depuis longtemps disparue, lui intimait l’ordre de ne pas renoncer aux rêves et à la beauté, aux belles mélodies et au parfum enjôleur des fleurs de pommier. Non, il fallait à Louis un rêve à chérir, fût-il inaccessible, sinon l’enfant allait se voir réellement condamné à sombrer dans la folie. Ces créations compensatoires lui étaient indispensables pour le distraire de sa condition infecte, même si Adélie se doutait bien un peu que les rêves qu’elle entretenait étaient largement responsables du fait que les gens croyaient son fils atteint de déficience mentale. Elle savait que cet enfant assujetti à des tâches viles par son père ne pouvait pas, dans cette situation, avoir un développement social normal. Elle préférait laisser Louis à ses rêves. Un jour qu’elle espérait très proche, ils allaient lui donner la force de larguer les amarres.
    Elle s’attristait que nul ne connût vraiment son fils hormis elle-même. Personne ne l’avait jamais vu tel qu’il était maintenant, souriant, le visage animé et les yeux avides de joie de vivre, étincelants du plaisir d’apprendre.
    Mais la tendre Adélie se refusait à admettre l’existence de quelque chose de singulier qui avait depuis peu commencé à se superposer, sur le visage de son fils, à

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