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Le jardin d'Adélie

Le jardin d'Adélie

Titel: Le jardin d'Adélie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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côté, ou même, à la rigueur, va chez les Antonins {33} .
    Elle se détourna tristement. La salle reposait dans son silence ponctué de toux rauques et de gémissements. Les grondements du tonnerre y pénétraient d’une curieuse façon assourdie par les murs épais.
    Penchée au-dessus d’un malade, la religieuse dit à Louis :
    — Retourne auprès d’elle, d’accord ? Je me charge d’envoyer un émissaire pour prévenir le père abbé de Saint-Germain-des-Prés aussitôt que possible. Je sais qu’il vous tient tous en haute estime, vous autres, les Ruest. Allez donc savoir pourquoi.
    *
    Antoine errait dans la cour. Le frère tourier, dans son cagibi, ronflait bruyamment.
    Le feu. À ce seul mot, l’abbé avait tout saisi. Ignis sacer, le mal des ardents, aussi connu sous d’autres noms, tels que feu de saint Antoine, charbon de Dieu, ignis gehennae et mortifer ardor {34} . Tous des termes qui évoquaient les tourments de l’enfer.
    Ce que lui avaient dévoilé quelques traités de médecine au sujet de cette maladie était horrible. Elle n’atteignait d’abord que les membres, les oreilles, le nez et le sexe. Elle pouvait prendre des semaines à se développer jusqu’à son stade ultime, ou foudroyer en une seule journée. Le premier signe en était une phase d’ivresse souvent accompagnée d’hallucinations. Physiquement, d’abord rien de visible ne se manifestait. Le sommeil devenait agité et troublé par de violents cauchemars. Peu après les membres envahis de fourmillements s’engourdissaient et devenaient progressivement douloureux. Une gangrène sèche, traîtresse, se développait. Elle consumait les membres qui se couvraient de taches ombrées et se mettaient à noircir avec une rapidité démoniaque, pour se nécroser entièrement. Le malade qui souvent dégageait une odeur pestilentielle devenait agité, fiévreux et très assoiffé. Mais le plus terrifiant restait encore à venir : les membres touchés devenaient cassants à leurs articulations ; sans aucun saignement, sans douleur, et même parfois sans aucune mauvaise odeur dans les cas de gangrène sèche, ils se détachaient soudain et tombaient comme du bois mort. Malheureusement, la plupart du temps, des complications survenaient et la gangrène devenait humide. La maladie continuait à se répandre et, après avoir causé d’atroces souffrances, elle entraînait la mort, à plus ou moins brève échéance, lorsqu’elle touchait la tête et le cœur.
    L’abbé avait lu que l’on recommandait toutes sortes de remèdes contre ce mal : vers de terre enduits de vinaigre, fientes de pigeon et graines de lin dans du vinaigre miellé, roux de la fiente fraîche d’une poule avec du vinaigre, lait de brebis frais et cendres de cheveux de femme. D’autres élixirs étaient composés d’huile contenant des cendres de tête de chien calcinée et de rats velus, ou encore de sauterelles fricassées dans du suif de bouc. Il y avait des médicaments faits d’acacia et de feuilles de framboisier mélangées à des olives, à sa propre urine, à du sang menstruel, à de la sauge et à des fleurs de sureau. Enfin, on mentionnait l’huile de foin qui s’obtenait par un laborieux procédé : il fallait enflammer le foin et l’éteindre aussitôt, puis le mettre sur du charbon ; pendant qu’il se consumait, il fallait recueillir le résultat huileux de la condensation des émanations sur une plaque métallique placée au-dessus du foin.
    Antoine secoua la tête avec lassitude et regarda en direction du portail laissé grand ouvert. Cette collection de remèdes plus saugrenus les uns que les autres n’arrivait pas à lui faire oublier le groupe de jeunes moines à peine adolescents qui avaient décidé de fuguer pour se joindre à la procession de la Fête-Dieu. Cette grave transgression était déjà en soi très préoccupante ; pourtant, si l’abbé s’inquiétait, ce n’était pas à cause d’elle, mais à cause du fait qu’elle s’était produite à l’initiative du saint frère Lionel, le bibliothécaire.
    Les moines fautifs venaient tout juste de rentrer, déçus et contrits, sans se rendre compte qu’ils avaient semé leur meneur derrière eux.
    *
    Vaincu, à nouveau seul parmi les fidèles en prière qui allaient en se raréfiant sur le parvis trempé, Louis se mit à sangloter. Des grêlons le heurtaient et quelques-uns le mordirent comme de méchants insectes, mais il n’en avait cure : la petite douleur

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