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Le jardin d'Adélie

Le jardin d'Adélie

Titel: Le jardin d'Adélie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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Les dernières brises égarées semblaient avoir été aspirées par un monstre gigantesque, non encore visible. Des nuages d’orage se formaient et étendaient leur encre plombée sur un ciel trop pâle. Le quartier était singulièrement calme. Adélie se mit à somnoler.
    À son réveil, elle grelottait. Elle avait l’impression que l’intérieur tout entier de son corps se laissait graduellement dévorer par une grande froidure, alors que la peau lui cuisait. Elle ne se rendit pas compte que toutes ses pensées, tel un nuage de moustiques au vol erratique et confus, avaient envahi la chambre ; elle s’était mise à parler toute seule d’une voix monocorde. Les panneaux de la fenêtre commencèrent à bouillonner. Des voix qui chuchotaient se juxtaposèrent à la sienne, de plus en plus nombreuses. Cela devint insoutenable. Adélie cria et se boucha les oreilles. Au même moment, une violente crampe lui contracta les viscères. Soudain, plus rien d’autre que cela n’exista. Les voix se turent.
    Lorsque la crampe s’atténua, sa lucidité revint et, avec elle, une certaine cohérence d’esprit.
    « C’est trop tôt et ça ne se passe pas ainsi, d’habitude », se dit-elle.
    Son ventre était anormalement gros pour un cinquième mois de grossesse. Ces dernières semaines, son corps et son visage s’étaient déformés sous l’effet d’une mauvaise enflure. Firmin lui avait dit :
    — Ça a fait pareil pour le Ratier, souviens-toi. Il t’avait rendue horrible et grosse comme un jambon. Et, celui-ci, c’est le premier que tu gardes aussi longtemps.
    Entre Louis, son premier-né et unique enfant vivant, Adélie avait eu cinq fausses couches. Cet accès de coliques lui fit donc craindre le pire. Une fringale l’avait tenaillée sans répit toute la matinée, la forçant, peu avant sexte*, à prendre une pause et à se faire cuire quelques petites galettes. Afin de ne pas puiser dans les réserves de bonne farine destinée à la clientèle, elle avait moulu au mortier des grains de seigle dont la piètre qualité, les ayant écartés dès le départ de la mouture, s’était immédiatement révélée sous le pilon. Elle s’était dit que Firmin n’allait pas faire d’objection si elle en prenait un peu pour sa consommation personnelle. Mais, malgré le grand soin qu’elle avait mis à ne sélectionner que les grains moins touchés par une petite moisissure, le résultat était là : Adélie s’était empoisonnée. Elle avait contracté une forme sévère du mal des ardents {32} .
    Les maux de ventre desquels elle était familière ne ressemblaient en rien à ce serrement des entrailles qui la saisit de nouveau et se répandit le long de tous ses membres, la laissant hurlante, arquée sur le lit.
    « Il ne faut pas que je perde celui-ci aussi, mon Dieu, se dit-elle, anxieuse, une fois que la crampe l’eut délaissée, en sueur et sans forces. Si au moins je n’étais pas seule ! » La sensation d’ivresse revenait entre les spasmes, ne laissant à Adélie que d’avares parcelles de lucidité. Il ne fallait pas compter sur un retour de Firmin ou de son fils si tôt dans l’après-midi. Elle voulut avant tout s’accorder un peu de repos. Il allait falloir qu’elle se débrouille seule par la suite pour aller chercher du secours.
    Mais une nouvelle crampe la contraignit à ne pas attendre davantage. Alors qu’elle se remettait sur pied et traversait la chambre, elle plaqua ses deux mains sur son ventre. Elle se laissa tomber sur le coffre et se berça nerveusement. Les contractions qui lui tordaient les entrailles évaporaient un bref instant ses vertiges. Mais cela n’était pas suffisant. Une confusion angoissée commençait à s’installer dans l’esprit de la malheureuse, même lorsque la douleur s’émoussait pour l’abandonner à un répit miséricordieux.
    — Louis, appela-t-elle, le souffle coupé.
    Elle avait oublié qu’il n’était pas là. Pourtant la chambre était pleine de monde. Mais c’étaient tous des inconnus à figure grimaçante de gargouilles qui demeuraient inconsistants et se dérobaient sans cesse dans un brouillard changeant. Une ombre vêtue de bure passa près d’elle. Mais oui, le monastère. Elle se porta en avant pour attraper le rebord du vêtement et manqua tomber.
    — À l’aide. Mon bébé…
    Adélie obligea son corps traumatisé à se déplier pour se lever. Il fallait absolument qu’elle quitte cette chambre, ne fût-ce que pour

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