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Le jardin d'Adélie

Le jardin d'Adélie

Titel: Le jardin d'Adélie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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qu’ils causaient n’était rien, elle n’était rien du tout Le garçon clignait des yeux sans porter attention à l’ostensoir, déformé par ses larmes et par l’averse grise qui se confondaient en un seul et même désespoir.
    Lorsque, dans sa retraite hésitante en direction du narthex, l’objet orfèvre vint distraitement osciller juste au-dessus de sa tête, Louis leva les yeux vers le petit centre immaculé qu’il renfermait. Il s’essuya gauchement le nez avec ses jointures écorchées et se barbouilla la figure de sang rosé. Jésus, du haut de son trône du portail, ne le remarqua pas à cause de la pluie mêlée de grêle. L’enfant se mêla sans être vu aux clercs qui seuls pénétraient dans l’église à la suite de l’ostensoir et rendaient ainsi officielle la fin de la procession.
    Quelques fidèles semés par l’orage s’attardaient dans la nef. L’un d’entre eux était un grand moine maigre qui s’était agenouillé pour prier. Les clercs franchirent le portail du Cloître et disparurent. Un sacristain vaquait à ses tâches, s’occupant de ramener les Saintes Espèces au Tabernacle. Après avoir enfermé des hosties dans la pyxide gardée par l’ange qui se tenait derrière l’autel, il franchit à son tour le portail du Cloître, les mains enfoncées dans ses larges manches, sans se rendre compte qu’une ombre l’avait suivi au-delà de la clôture. Le frère Lionel leva les yeux et entrevit cette ombre. Il se leva et se glissa furtivement derrière un pilier trapu afin de mieux examiner l’intrus.
    À onze ans, Louis atteignait désormais la taille de la plupart des adultes malgré une certaine sous-alimentation. Cela devait contribuer à maintenir chez lui l’allure vaguement maladive de ceux qui avaient beaucoup grandi en peu de temps : effectivement, ces quatre dernières années l’avaient vu croître d’une façon trompeuse et anormale. De plus, il s’était mis à souffrir de fréquents maux de dos.
    Louis s’avança jusqu’à la pyxide non verrouillée sans regarder alentour. Inconscient de ses gestes profanateurs, l’enfant l’ouvrit et caressa le récipient précieux qui s’y trouvait. Il reniflait sans arrêt et par soubresauts incontrôlables qui lui comprimaient bruyamment la gorge.
    Le moine appréhendait d’avoir à arrêter ce jeune loqueteux s’il était venu commettre un vol, geste qui eût été ridicule puisque ces beaux objets du culte, trop aisément reconnaissables, auraient été invendables. Il hésitait à intervenir, quelle que fût la motivation de Louis. Enfin, il décida de ne rien faire. Ce qui se passait là était entre Dieu et l’enfant. Il n’avait rien à y voir. Il n’eût même pas dû se trouver là. L’éventualité d’un vol devenait secondaire, car il reconnaissait ces douloureux sanglots dans ses propres souvenirs d’enfant. C’était de ceux qui provenaient du tréfonds de l’âme, de ceux qui vous font ensuite flotter dans une sorte d’hébétude.
    La main de Louis se referma sur le ciboire et il l’inclina vers lui pour regarder à l’intérieur. Le vase contenait de tout petits bouts d’un pain de froment mince et très blanc.
    — Le pain de vie, dit-il d’une voix émue.
    Il ne pouvait s’agir que de ce pain-là. C’était pour le recevoir que les fidèles s’assemblaient à l’église. Il n’ignorait pas que c’était en son honneur que sonnaient les cloches et que se déroulaient toutes ces cérémonies pleines de beaux chants. Un aliment conservé dans un tel récipient ne pouvait qu’avoir des propriétés magiques. Il n’avait plus besoin désormais d’attendre de remède ni de chercher en vain une aide que personne n’était disposé à donner. Le pain de vie allait guérir sa mère.
    Louis ne commit pas le sacrilège auquel le moine s’était attendu : sous le regard impassible de l’ange, le garçon s’empara d’une seule hostie et s’enfuit en courant. Le bibliothécaire ne le poursuivit pas.
    Quelque chose en Lionel s’émiettait comme un croûton rassis entre les doigts.
    *
    Haletant et trempé jusqu’aux os, Louis était revenu s’agenouiller auprès de sa mère. L’angoisse et son point au flanc le faisaient à demi suffoquer.
    — Mère. Mère…
    Il posa une main sur l’une des siennes. Elle était glacée, étrangère, même s’il faisait encore très chaud dans la maison. La robe tachée d’Adélie s’était entortillée autour de son corps comme si la

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