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Le jardin d'Adélie

Le jardin d'Adélie

Titel: Le jardin d'Adélie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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cédé sous les secousses hystériques de son père qui l’avait ensuite battu, lui. Mais le souvenir de ces bruits-là n’était rien en comparaison du silence d’Adélie qui, elle, n’avait pas crié. Ce silence qui allait pour toujours meubler sa mémoire des cris qui auraient dû y être.
    Ce ne fut qu’au cours des toutes dernières heures de la veillée que Louis se décida enfin à quitter son repaire. Son père le désigna du doigt à quelqu’un et demanda :
    — Que vais-je bien pouvoir faire de lui, maintenant ?
    Ils ne revirent le garçon qu’au matin des funérailles.
    *
    Rue Neuve-Saint-Victor, un groupe silencieux se formait sous le porche de la chapelle de la corporation, dédiée à saint Lazare, constituant le maigre cortège de la discrète petite boulangère dont on ne s’était jamais autant soucié. Le glas sonnait en son honneur et lui donnait, au nom de la collectivité à laquelle elle avait appartenu, l’importance qu’elle n’y avait jamais eue de son vivant, comme si on se rendait compte seulement en cet instant qu’Adélie Ruest avait bel et bien existé. La cloche unique rythmait l’acuité de regrets jusque-là prudemment dissimulés.
    La procession frileuse s’ébranla. Elle était constituée pour l’essentiel de quelques parents éloignés, de collègues boulangers et d’un ramassis de curieux venus d’un peu partout en ville. Un vieux prêtre précédait la charrette à travers des rues étroites, et des gens se tenaient sur le seuil de leur maison pour la regarder passer en se signant. Les montants soigneusement astiqués en étaient frappés des armoiries de la guilde des boulangers que chacun pouvait aisément reconnaître : il s’agissait d’un écusson à fond noir présentant deux pelles de four blanches croisées, chacune étant chargée de trois pains rouges. D’ordinaire, ce véhicule besogneux arpentait les rues de la ville avec d’abondants chargements de grains ou de farine. Il était maintenant attelé à une vieille jument étique elle aussi empruntée à un collègue de la corporation, et n’emportait que le brancard sur lequel le corps d’Adélie, enveloppé de son linceul blanc, gisait avec celui du bébé. Il paraissait tout petit, là-dedans. Peut-être le seigle qui avait mis un terme à sa vie y avait-il séjourné avant elle.
    Louis ne quittait pas la charrette des yeux. Le garçon marchait juste derrière elle en compagnie de son père qui hululait d’une manière exaspérante. Louis détesta la charrette, les rigoles et le bruit des sabots martelant les pavés inégaux du chemin, qui tous secouaient trop sa mère. Il avait mal jusqu’aux entrailles. On eût dit que toute la chaleur du four s’était concentrée derrière ses yeux secs.
    Des peupliers, rescapés de la grêle qui s’était abattue, ressemblaient à des plumets mouillés. Ils étaient figés par un air chaud et immobile. Des merles en rupture de campagne y avaient élu domicile, et leur présence, toute silencieuse qu’elle fût, semblait incongrue en ce jour. La lumière trop crue se chargeait de vapeurs bleutées. Louis pensa qu’il aurait dû pleuvoir, qu’au moins la nature pleure à sa place. Ses yeux secs brûlaient comme sous la morsure du sel.
    La rosace de l’église Saint-Germain-l’Auxerrois, qui desservait l’immense enclos muré du cimetière des Saints-Innocents, observait l’arrivée du cortège d’un œil circonspect. Le prêtre et la famille se réunirent dans la partie du cimetière qui était réservée aux roturiers. Les quelques étrangers demeurèrent en retrait. Parmi eux se trouvait la bande de Hugues qui avait suivi la procession émaillée de reniflements. La charrette manqua s’enliser avant de s’immobiliser près d’une grande fosse qui attendait comme une blessure béante. On y apercevait çà et là des morceaux de linceul maculés de terre. Une pelle était plantée dans un tonneau de chaux placé au bord du trou. Deux anonymes formes blanches avaient été alignées dans un coin fraîchement creusé. Les fossoyeurs se décoiffèrent et reculèrent poliment.
    Le célébrant laissa le temps aux ombres qui chuchotaient d’encercler de près la fosse commune qui exhalait une humidité malsaine. Leurs regards faussement compatissants se posèrent tour à tour sur le veuf qui se moucha bruyamment avec le pouce et l’index, puis sur l’orphelin au visage inanimé. Leurs murmures s’amalgamèrent à l’haleine du

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