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Le jardin d'Adélie

Le jardin d'Adélie

Titel: Le jardin d'Adélie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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Domine exaudi vocem meam {36} , récita le prêtre.
    Le bercement séculaire des suppliques latines portait à un bienheureux engourdissement. La douleur s’émoussait peu à peu, mais à sa place il n’y avait rien.
    —  Requiem aeternam dona eis, Domine. Et lux perpétua luceat eis. Recquiescant in pace. Amen {37} .
    Le regard de Louis erra sans but parmi les gens assemblés autour du trou. Il croisa à nouveau le regard compatissant du petit Nicolas. Le souvenir d’une brise vint lui caresser les cheveux.
    Le prêtre s’éloigna en direction du groupe qui avait émis des commentaires désobligeants à propos de la sépulture. Cela détourna l’attention de Louis.
    —  Mémento, homo, quia pulvis es et in pulverem reverteris, dit le prêtre d’une voix forte afin que tous puissent l’entendre.
    Après quoi il expliqua :
    — Vous ne voyez là ni bien ni mal. Vous voyez là seulement ce qui est. Car le Seigneur a dit : « Souviens-toi, homme, que tu es poussière et que tu retourneras en poussière. »
    La brise douce vint effleurer un peu d’herbe bouclée qui était parvenue à pousser sur cette terre sans cesse piétinée et retournée. Louis cligna des yeux. Le curé se déplaça pour dessiner un lent signe de croix dans l’air, au-dessus de la fosse. Des gens commencèrent à partir. Firmin fut entouré par ceux qui désiraient le saluer avant de s’en aller à leur tour. Le religieux baissa les mains et les tint croisées devant lui. Les bribes d’une lettre qu’il avait reçue la veille d’un parent des Ruest lui revinrent à l’esprit. Elles commençaient sur un pieux mensonge qui, sans doute, visait à détourner l’attention du motif véritable de la missive. C’était habile :
    « Firmin Ruest demeure un homme fort dévot malgré le fait qu’il soit rudement éprouvé par la perte de son épouse qui ne lui a laissé qu’un fils. Or la nature de cet enfant me trouble et me porte à vous demander conseil… »
    Le religieux fut arraché à ses pensées par le fils Ruest lui-même, qui s’était discrètement approché de lui. Il le tira par sa manche de bure et dit :
    — Mon père, je ne sens plus rien. Je pense que je suis mort. S’il vous plaît, changez-moi en poussière. Je veux partir avec elle.
    *
    Avant la tombée de la nuit, les fossoyeurs se résolurent à pelleter de la chaux vive devant la dernière personne qui s’attardait près de la fosse. C’était l’auteur de la lettre. Le frère Lionel, comme Louis, vivait en marge du monde.

Deuxième partie
    1347-1350

Chapitre IV
    Le baiser du boulanger
    Paris, automne 1347
    La hotte vide attendait, appuyée contre le mur de l’étal. Un garçon dégingandé faisait les cent pas devant la boutique qui était sur le point de fermer. Les étagères, vides elles aussi, étaient déjà nettoyées et rangées pour la nuit. La porte de l’arrière-boutique s’ouvrit et se referma. Un jeune artisan portant tablier s’avançait dans la pénombre de la boutique. Inconsciemment, le garçon se mit presque à l’attention. C’était Hugues.
    — Une bonne journée. J’ai tout liquidé, dit-il, ravi, à Louis qui s’en venait.
    Ce dernier lui remit quelques pièces prises à même la jarre de terre cuite. Hugues les accepta avec reconnaissance, comme chaque jour depuis bientôt un an qu’il faisait les livraisons pour les Ruest.
    — Attends, dit Louis.
    L’adolescent alla chercher dans l’ombre de l’ouvroir quelques lourdes miches qu’il tendit à son copain et lui dit :
    — C’est pour toi et la bande. Ne les vends pas. Je n’ai pas le droit de faire des pains comme ceux-là.
    — D’accord.
    Hugues fractionna l’une des miches de pain complet dont la dense mie tiède était constellée de graines de tournesol, d’oignons grillés et de lardons.
    — Sacredieu, c’est drôlement bon. Merci, dit Hugues, la bouche pleine.
    Ils se saluèrent et Louis verrouilla la boutique pour aller souper avec la famille dans la chaude pièce à vivre. Il retira son tablier et se lava les mains, les avant-bras et le visage au seau d’eau qui était posé près de la porte. Il prit place au bout de la table, à l’extrémité opposée à celle de son père.
    Bien des choses avaient changé au cours de ces trois dernières années. À quatorze ans, Louis était devenu plus robuste. Il dépassait d’une tête la plupart des adultes. Sa musculature s’était développée grâce au travail et à une alimentation plus

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