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Le jardin d'Adélie

Le jardin d'Adélie

Titel: Le jardin d'Adélie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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Une parente de Firmin avait dû en relâcher les coutures. Elle avait également teint en noir, pour Firmin et Louis, leurs deux meilleurs habits. Et, dès ce moment, Louis avait détesté ses vêtements.
    Il abhorra aussi de voir comment son père recevait poliment, une famille après l’autre, tous les membres de la confrérie avec qui il échangeait paroles feutrées et prières, toujours les mêmes. Des mondanités sécurisantes dont les vertus sédatives ne visaient qu’à reculer le plus possible l’instant de l’ultime séparation. Louis avait l’intention de passer ces trois jours tapi dans un coin sous les combles. Certaines personnes vinrent le voir, surtout au début. Quelques-unes tentèrent même de le réconforter, mais, ne sachant trop comment s’y prendre avec lui, elles y renoncèrent bientôt. Même la bande de Hugues fut mal reçue. Samson, qui tenta de le consoler, se retrouva avec un œil poché et des cheveux en moins. La bande en fut quitte pour faire demi-tour en traînant dans son sillage les chuchotements scandalisés des autres visiteurs à propos du comportement inacceptable du fils Ruest.
    Louis n’avait envie de voir personne. La mort de Petit Pain lui avait fait comprendre que, lorsqu’il éprouvait du chagrin, il valait mieux le cacher au plus profond de lui-même pour éviter que l’on tente de lui faire plus de peine encore.
    Le deuxième soir de la veillée funèbre, il y eut une accalmie. Le silence épais de la nuit trop chaude pénétrait par la porte de la maison restée ouverte, comme une poix qui adhérait à l’âme pour l’étouffer. Des moucherons venaient s’enflammer aux chandelles pour tomber dans les écuelles vides laissées un peu partout par les visiteurs. Lorsque le meunier Bonnefoy arriva pour veiller le corps avec sa famille, Églantine décida de faire fi des conseils avisés de Firmin et s’en alla rejoindre Louis dans sa cachette. Elle s’assit à ses côtés sans mot dire. Sans cesser de se bercer en se frappant le dos contre le mur, Louis lui jeta un coup d’œil. Elle avait beaucoup changé et ressemblait désormais à une femme. Il en parut gêné et cessa de se bercer. Il se recroquevilla, le dos appuyé au mur et le front contre ses genoux pliés qu’il enserra.
    Après un long silence, la jeune fille se résolut à lui faire remarquer :
    — Nous devrions peut-être rejoindre les autres et prier pour elle. Il releva la tête sans la regarder.
    — Vas-y si tu veux. Mais moi, je dis qu’elle n’a plus besoin de rien.
    — Tu crois cela ?
    — Oui. C’était avant qu’il fallait y penser.
    — Et son âme à elle, y as-tu pensé ? Et la tienne ?
    Louis ne répondit pas. Oui, il y avait pensé. Il avait ardemment espéré ressentir, ne fût-ce que le temps d’un soupir, l’assurance qu’Adélie avait bel et bien trouvé le jardin. Mais rien n’était survenu. Au contraire, il avait l’impression que sa mère avait tout emporté avec elle. Et le jardin, et leur âme à tous deux.
    Églantine ne quittait pas Louis des yeux. Quelque chose en lui la troublait profondément, bien au-delà de la compassion qu’elle éprouvait. L’intensité de sa peine lui démontrait qu’il était capable d’un amour absolu, inconditionnel, de cet amour dont chacun d’entre nous rêve d’être l’objet. Grâce à la seule puissance de cet amour, le garçon buté et rébarbatif devenait tout à coup plus humain à ses yeux.
    Elle lui effleura gentiment le bras. Il fit un brusque écart avant de se remettre debout pour l’affronter en serrant les poings.
    — Ne me touche pas. Je déteste me faire toucher.
    Églantine se releva à son tour et lissa ses jupes. Elle le regarda d’un air navré.
    — Comme tu veux. Mais tu n’y pourras rien si je décide d’aller prier pour toi.
    Elle se détourna et le laissa seul avec ses pensées.
    Ce qu’Églantine ne pouvait savoir, c’était que lui aussi allait caresser le bras d’Adélie dès que la pièce à vivre se vidait pour de rares instants, toujours trop brefs. Aucun signe du dernier mauvais traitement que sa mère avait subi ne paraissait sous le tissu délicat de sa robe. Ses mains reposaient sereinement sur son ventre encore enflé. Mais Louis savait que tout cela n’était qu’un leurre : Firmin avait dû casser le bras du cadavre à la jointure du coude pour dégager son fils de son étreinte rigide. Le garçon pouvait encore entendre le craquement sinistre des os qui avaient

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