Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Le jardin d'Adélie

Le jardin d'Adélie

Titel: Le jardin d'Adélie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
Vom Netzwerk:
saine dont son père ne le privait plus. Il portait des vêtements usés mais convenables et propres. Ses cheveux n’étaient plus taillés au bol ; ils étaient ras, à peu près comme ceux de son père. Mais la chevelure du garçon était plus abondante que celle de Firmin, si bien qu’elle s’ébouriffait au moindre souffle d’air. Une petite mèche rebelle près du front s’obstinait à désigner le plafond comme s’il était la chose la plus intéressante à regarder.
    La famille aussi était différente : elle s’était agrandie. Firmin s’était remarié l’année précédente. Odile, son épouse plantureuse, tenait maison et ne rechignait pas à partager avec lui les plaisirs de la couette. Ce goût insatiable pour les rapports charnels était d’ailleurs ce qui avait motivé sa démarche auprès de cette veuve plus âgée que lui, puisqu’elle ne connaissait rien en matière de boulangerie. Elle avait amené avec elle Bertrand, un fils de seize ans qui ne songeait qu’aux gloires de la chevalerie, Clémence, sa fille de douze ans, Amaury, un garçonnet de cinq ans et le petit Gérard qui n’avait qu’un an. Curieusement, Firmin avait trouvé de quoi les entretenir tous sans pour autant renoncer à une cuite hebdomadaire. Il fallait qu’Odile fût bonne au lit.
    Les Ruest demeuraient prospères. Toutefois, quelque chose manquait. Un malaise, comme ces lents brouillards d’automne que les ardoises des toits déchiquetaient, planait au-dessus d’eux et indisposait quiconque était tenté de s’infiltrer parmi eux. Leur demeure pourtant belle s’était fanée tel un pétale sous le frimas. Elle était comme privée de sa ration de lumière, on eût dit que ses fenêtres ne cherchaient plus qu’à voiler leur regard derrière le tulle endommagé d’araignées qui n’y étaient pas, puisque le ménage était bien fait. Peut-être Firmin avait-il essayé de nier l’existence de cette impression persistante en peuplant sa maison avec les enfants d’un autre.
    Louis travaillait fort et savait s’occuper de tout : du four, du levain, des variétés de pains, en plus de la boutique. Il savait être partout à la fois. De sa propre initiative, il avait confié les livraisons à Hugues et n’avait jamais eu à le regretter : si le voyou continuait à commettre çà et là de petits larcins, jamais son ami n’en fut la cible. Clémence et Odile apprenaient à tenir la boutique à tour de rôle tandis que l’autre restait à la maison pour s’occuper des petits. Assez fréquemment, Firmin et Louis boulangeaient ensemble.
    Une espèce de trêve s’était instaurée entre eux. Il y avait de quoi se demander si Firmin avait jamais douté de l’intelligence de son fils. Il lui confiait les rênes de plus en plus souvent. Il n’y avait plus de Ratier. À quatorze ans, Louis était désormais majeur {38} et n’était plus un chrétien sous tutelle. On arrivait presque à oublier qu’il avait été maltraité depuis l’âge de trois ans, au début de cet âge turbulent et mal considéré, où il avait progressivement perdu les vertus divines du baptême.
    Peu après le remariage de son père, il avait déménagé sa couche sous les combles, préférant affronter le froid et les mauvais souvenirs plutôt que d’avoir à endurer l’envahissante promiscuité de sa belle-famille ; car il passait la plupart de ses nuits dans la farinière*. S’il avait pris cette décision par défi, son père, bien que surpris, l’avait tout de même laissé faire sans protester.
    Les deux petits n’incommodaient pas Louis : d’instinct, ils le laissaient tranquille. Il s’entendait plutôt bien avec Clémence, sa sœur par alliance, qui était la seule avec qui il communiquait un peu. Quant aux trois autres, Firmin, Odile et Bertrand, tout allait bien tant qu’ils s’en tenaient au minimum avec lui.
    Dès que Louis se fut assis, ce soir-là, Clémence commença le service. C’était une petite brune timide qui devait tenir la majorité de ses traits de son défunt père. Elle servit d’abord Firmin, puis Louis. Ni Odile ni Bertrand n’y trouvèrent à redire. Ils attendirent leur écuelle en silence alors que le père et le fils commençaient à manger. C’était devenu naturel. Tacitement, c’était Louis et non pas Bertrand que l’on considérait comme l’aîné, parce qu’il travaillait.
    — Le prix du grain a encore grimpé, dit Firmin. Si ça continue ainsi, nous allons devoir nous

Weitere Kostenlose Bücher