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Le jardin d'Adélie

Le jardin d'Adélie

Titel: Le jardin d'Adélie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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avait toujours été considéré comme une espèce de magicien, car son savoir un peu mystique le rendait capable de transformer la matière. Il pouvait transformer le grain, souvent foncé, en farine immaculée. Sa maîtrise des forces de la nature en faisait parfois un être à craindre. Dans les villages, il faisait office de météorologue local. On s’en remettait à lui pour déterminer le meilleur moment de la fauchaison. C’était un homme puissant, influent, souvent assez riche et dès lors volontiers soupçonné de chercher à escroquer ses clients en ne leur rendant pas toujours en farine l’équivalent intégral de leur apport en grains. Il accusait les rats et les poules de le piller à toute heure du jour ou de la nuit, mais on n’en doutait pas moins de sa parole. Pourtant, les larcins qu’il pouvait commettre étaient de peu d’intérêt, sinon pour sa propre table, puisqu’il n’était généralement pas autorisé à vendre directement sa mouture. Le meunier savait aussi se montrer charitable. Souvent survenait quelque pauvre hère à qui il permettait, selon une tradition bien établie, de remplir ses mains et, à l’occasion, ses avant-bras de farine. Le misérable puisait alors avec reconnaissance dans le réceptacle de mouture fraîche. Ces ponctions, qui donnaient au meunier l’occasion de vérifier la qualité de son produit, assuraient parfois un repas pour une famille entière. Les besoins en farine étaient tels à Paris que les meuniers avaient l’autorisation spéciale de travailler la nuit.
    Autour du meunier et de sa famille gravitaient des personnes de condition inférieure dont le nombre dépendait de sa réussite. On retrouvait dans les moulins des domestiques, servantes, valets de charrue, manouvriers et aides. Enfin, la meunerie était depuis toujours un lieu reconnu de sociabilité masculine. Les hommes s’y retrouvaient en attendant que leur blé soit moulu et ils y discutaient allègrement, tandis que les femmes se réservaient l’étage dévolu aux tâches ménagères.
    Pour la première fois depuis qu’il accompagnait son père chez le meunier, Louis eut le loisir d’apprendre des choses passionnantes au sujet du fonctionnement du moulin. Avec Firmin, cela n’avait jamais été possible. Le père Bonnefoy se réjouit d’avoir chez lui un auditeur aussi attentif et il ne ménagea pas sa peine. Habituellement, les artisans boulangers ne se souciaient guère du travail de leurs fournisseurs, pour autant que leur rendement se révélât satisfaisant. Le meunier lui décrivit tout avec force détails, émaillant ses renseignements de « regarde bien, cela pourra t’être utile plus tard » et de « tout bon boulanger doit savoir que… »
    — La première chose qu’il nous faut apprendre à reconnaître, c’est le comportement des divers types de grains, dit-il tout haut en en humidifiant un plein récipient afin que le son produit fût plus gros. Il le versa dans la trémie, une sorte de grand entonnoir en bois. Le grain glissa vers un trou où les meules, l’une dormante et l’autre courante, s’en emparèrent pour le broyer avec avidité. Un nuage de fine poussière dorée s’en éleva.
    — Prends garde, petit, éloigne-toi un peu, sinon ça va te happer par les hardes et, quand on va te retrouver de l’autre côté, je puis te garantir que tu n’auras pas fière allure dans le pain. Tiens, regarde mes doigts. J’avais dix ans quand ça m’est arrivé. Et le fils d’un de mes collègues a mal calculé ses distances : il a été fauché par une verge. Pas aisé, ce métier, c’est moi qui te le dis. Mais je n’en ferais pas d’autre.
    La mouture grossière était dirigée vers la bluterie. C’était un panneau mobile muni de soies conçues pour séparer la farine de la semoule et du son. Grâce au blutoir, le meunier pouvait obtenir différents niveaux de mouture. On récupérait également la semoule qui était issue d’un broyage grossier du blé dur, de même que le son, déchet de cette mouture. Le blutoir avait l’aspect d’un imposant coffre en bois. À cause de sa taille, il était logé dans un hangar accolé au moulin.
    — On ne travaille pas de même façon les bleds* et une seule sorte de grains, dit Bonnefoy. Il faut aussi tenir compte du taux d’humidité qu’il y a dedans. Nous devons reconnaître quel bluteau fait quelle mouture et quels produits on peut tirer de chacune. Il y a aussi la manière de nettoyer les

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