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Le jardin d'Adélie

Le jardin d'Adélie

Titel: Le jardin d'Adélie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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ce frottement des pièces. Tout peut se mettre à flamber comme de l’amadou en un clin d’œil… Ah, tiens donc, voici le rhabilleur de meules qui s’amène.
    Bonnefoy sortit sur la passerelle reliant le moulin à la rive. Un chariot descendait cahin-caha sur la sente riveraine en remuant de la poussière. Louis se demanda comment le meunier avait fait pour l’entendre.
    — Suis-moi, petit, on va avoir de l’ouvrage.
    À sa propre surprise, l’adolescent aimait bien se faire appeler petit par cet homme râblé qui lui arrivait aux épaules.
    — Comme ton père le sait, je fais venir mes meules de La Ferté-sous-Jouarre, en Seine-et-Marne. On y exploite un granit d’excellente renommée. Holà, bien le bonjour, l’ami. Vous viendrez bien vider un gobelet et bavarder avec nous avant de commencer ? Permettez-moi de vous présenter Ruest fils.
    — Très heureux, dit le rhabilleur de meules en descendant de sa charrette.
    Ses hôtes l’avaient rejoint. C’était un homme noueux comme le fût d’un saule. Il confia les rênes à un garçon d’étable et prit ses outils. Les trois hommes se dirigèrent vers le moulin, Louis fermant la marche. Il prêta une oreille distraite à leur échange :
    — Deux mois et demi, c’est trop, mon vieux. Il était temps que vous arriviez pour le nettoyage. Je commençais à craindre que l’aspect et l’odeur de mon produit n’en pâtissent.
    — C’est que je suis débordé par le temps qui court. Voyez-vous, on dirait que tous les meuniers de la ville se sont donné le mot pour me solliciter en même temps avant l’hiver.
    — Ils veulent sans doute comme moi vous faire revenir en février ou mars en prévision des crues du printemps.
    Les deux hommes entrèrent. L’arrivée de la charrette avait attiré un groupe d’invités désœuvrés remorqués par Églantine. Louis se retourna et les vit. L’une des jeunes filles, provocante et délurée, se déhancha et demanda, tout haut :
    — Hum, c’est lui, le mauvais garçon dont tu m’as parlé, Églantine ?
    — Pas si fort, dit l’interpellée qui rougit jusqu’à la racine des cheveux.
    La poitrine de Louis se gonfla de fierté orgueilleuse. Il voulut leur en mettre plein la vue et souleva à lui seul un sac de cent kilos dont il se chargea. Il leur jeta un coup d’œil malicieux.
    — C’est Coquelicot, son nom. Pas Églantine. Parce que rouge comme elle est…
    — Mufle, dit Églantine.
    Elle reporta à nouveau le regard sur son amie.
    — Crois-tu vraiment que j’aie envie de demeurer en présence d’une créature aussi puérile ? Partons.
    — Non, attends. Moi, il me plaît bien. Pas vraiment séduisant, mais j’aime bien son allure rebelle.
    — Bon. Reste si tu veux. Tout ce qui porte des braies* t’attire, de toute façon. Mais moi, les portefaix ne m’intéressent pas.
    Bonnefoy appela, du fond de la minoterie :
    — Hé ! Ruest, viens un peu par ici. À moins bien sûr que tu ne préfères aller conter fleurette à ces jolies jouvencelles ?
    — Tu aurais tort, elles ne te laisseraient pas en sortir indemne, dit le rhabilleur de meules.
    — Dis donc, petit, est-ce ma bière qui t’a mis le feu aux joues ? Tu es tout rouge.
    — Euh… ça doit être à cause de ce sac. J’ai un peu chaud.
    Les deux hommes eurent un rire entendu. Bonnefoy poursuivit :
    — Comme de raison… Va poser ça là. Bois un bon coup et amène-toi, on a quelque chose à te montrer.
    Quand Bonnefoy recevait des meules neuves, dont le seul transport requérait des heures de travail acharné, sa première tâche consistait en une opération de correction appelée riblage. Il s’agissait de vérifier et de corriger la surface des meules ; car, malgré un soigneux polissage effectué sur le lieu même de production, elles comportaient encore d’inévitables petites aspérités qui risquaient de compromettre la qualité de la mouture. Après avoir mis le moulin en marche pour faire tourner les meules l’une sur l’autre, à sec ou en y versant de l’eau, on finissait par apercevoir des points de frottement anormaux. Ils étaient corrigés au marteau et on répétait le riblage plusieurs fois en rapprochant de plus en plus les meules. Une fois qu’elles étaient au point, le meunier passait au rodage en versant du sable fin entre elles. Ce souci de la perfection allait faire la renommée des meuniers français.
    Ce jour-là, le rhabilleur de meules n’était venu que pour nettoyer ces

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