Le jeu de dupes
François s'apercevant de son manège fronça les sourcils et Gervais, tel un enfant pris enfaute, cessa immédiatement ses gamineries tout en ne pouvant s'empêcher de se signer au cas où.
Après avoir traversé un salon très classique, mis à part une entêtante odeur d'encens, ils débouchèrent dans une pièce dotée de beaux volumes qu'on avait délibérément rapetissée à l'aide de tentures. François fut saisi par l'atmosphère exotique des lieux et l'impression de plonger en terre inconnue : partout d'épais tapis étouffant tout bruit de pas jonchaient le sol en un parterre coloré, mélange de décors floraux parfois inspirés par la fleur de lys, aux bordures à feuilles dentelées ou à motifs géométriques étranges. Aux murs, des tapisseries évoquaient de magnifiques jardins où se dissimulaient des animaux féeriques et des scènes de chasse qui semblaient prendre vie sous la lumière de grands flambeaux formés de coupes de bronze plantées sur de longues tiges remplies d'huile qui diffusaient une faible lueur à dessein.
Complètement dépaysé, notre gentilhomme ne put réprimer un léger sursaut en constatant subitement la présence de son hôtesse sur l'un des coussins disposés au sol où elle attendait manifestement qu'il l'ait remarquée pour se lever et l'accueillir. Jamais auparavant François n'avait croisé pareille créature : grande, habillée de vêtements à la coupe orientale, elle avait les traits du visage presque masculins avec un nez fort et une mâchoire marquée. Cependant le contraste avec de grands yeux clairs rehaussés de longs cils et d'une chevelure aux reflets cuivrés enserrée d'un turban noir mettant en valeur une bouche charnue la rendait extrêmement attirante, dotée d'un éclat, d'une sensualité à fleur de peau. Elle s'approcha etFrançois se sentit littéralement happé par son regard au point qu'il eut du mal à trouver ses mots, ce qui sembla enchanter l'apparition.
– Madame… je vous sais gré de me recevoir.
– Tout le plaisir est pour moi, mon Seigneur, et je vous en prie, appelez-moi Mizgin, cela veut dire bonne nouvelle, dit l'altière féline d'une voix grave et chaude en reprenant place sur un coussin tout en faisant signe à François de la rejoindre.
Il s'assit, essayant de se concentrer sur le but de sa visite, tentant sans grand succès d'échapper au climat d'érotisme presque oppressant que son hôtesse avait su instaurer. Il s'immobilisa lorsqu'elle claqua des mains en direction de son domestique qui, à son tour, appela des serviteurs chargés d'apporter de grands plateaux dorés proposant des verres colorés dans lesquels ils versaient du thé brûlant tout en disposant une multitude de pâtisseries appétissantes avant de disparaître, comme par enchantement, une fois leur tâche accomplie.
– Votre valet trouvera de quoi se restaurer à l'office, qu'il suive Shiffa.
Gervais lança des appels muets en direction de son maître. L'Orientale comprit sa peur et rit en déclarant :
– Mon domestique est un eunuque dévoué et loyal qui ne vous fera aucun mal.
Cela ne rassura guère le brave homme pourtant, vu le signe d'assentiment de François, il se décida à suivre l'Africain aux allures de suppôt de Satan, ne pouvant s'empêcher de faire une prière à voix basse.
Une fois seule avec son invité, la troublante étrangère le servit tout en lui offrant de tester unnarguilé, grande pipe à eau confectionnée pour fumer le tabac, proposition qu'il préféra décliner. François décida de reprendre la direction de la conversation et de ne pas se laisser troubler par cette femme intimidante.
– Votre serviteur est un castrat ?
– Tout à fait. Je l'ai emmené avec moi lorsque j'ai quitté le harem d'Ispahan.
François savait que son hôtesse descendait de l'aristocratie perse mais, à vrai dire, il ne connaissait rien de ce pays lointain. Mizgin perçut son malaise.
– Cela vous intéresserait-il d'entendre mon histoire avant que j'écoute la vôtre ?
François répondit par l'affirmative avec un intérêt réel qu'il ne chercha pas à dissimuler.
– Je suis née à Ispahan, ville paradisiaque érigée au milieu du désert par mon père le shah Abbas I er . Ma mère était une princesse kurde offerte en tribut de guerre et enfermée par mon père au harem en tant que favorite. J'y fus élevée avec mes frères et sœurs jusqu'à la défaveur de ma mère donnée en mariage à un employé du palais pour avoir
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