Le jeu de dupes

la narration de l'envoûtante conteuse.
    – Oui, enfin non, je l'ai croisé une ou deux fois au palais, c'est tout.
    – Vous avez certainement pu constater qu'il n'a pas été gâté, à l'inverse de vous, par Dame Nature, dit la Séfévide 1 en touchant de ses doigts délicats la joue du gentilhomme tout en le toisant d'un regard gourmand.
    François s'ébroua en s'écartant, ne souhaitant pas succomber à ses charmes.
    – Vous êtes beau et vous ne pourrez jamais comprendre à quel point un mâle peut souffrir d'être petit, laid et dépourvu de ce qui ravit les femmes. Paul est maladroit et tellement myope qu'il commet balourdise sur balourdise et les rires sur son passage le meurtrissent douloureusement… il voudrait tant imposer le respect… Cela dit, ne vous méprenez pas, il a du succès auprès de la gent féminine et plusieurs grandes dames auraient adoré ledébarrasser de sa soutane, seulement c'est un séducteur qui aime les défis et qui sélectionne celles qui partagent sa couche. Mon statut de princesse a joué dans le fait que nous nous sommes côtoyés durant près de trois années, cela et bien d'autres choses, souligna-t-elle de sa voix caressante. Évidemment, c'était avant qu'il ne se mette en ménage avec Mademoiselle de Chevreuse et ne me transforme en ennemie devant le peu de gêne qu'il a alors manifesté pour se débarrasser de moi…
    À ces mots les yeux de l'Orientale prirent un éclat incandescent et François sut que c'était la haine d'avoir été quittée qui motivait l'aide qu'elle lui apportait. La belle Persane n'avait pas supporté d'être reléguée au second plan et elle ne s'en cachait pas. François pensa qu'il fallait être fou pour transformer une telle créature en adversaire avide de vengeance.
    – Tout cela pour vous dire qu'il n'est pas homme à accepter de rester simple coadjuteur de Paris. Le cardinalat est son but suprême et il tentera de détruire tous ceux qui se mettent en travers de son chemin, comme Mazarin, d'autant qu'il estime sincèrement être celui qu'il faut pour diriger la France. Et puis j'étais en sa compagnie le soir du 26 août 1648 après que la reine eut refusé ses services en l'humiliant devant toute la cour. C'est cela qui a entraîné son basculement dans la Fronde : par conviction mais aussi par intérêt, toujours pour décrocher son Graal : ce fameux chapeau qu'on lui refuse. Maintenant, devant la morgue de Condé, je suppose qu'il espère un rapprochement avec la régente. Ah, Messieurs, vous êtes tous tellement dépendants de ces hochets, symboles de pouvoir…Vous imaginez aisément que ce projet serait irrémédiablement compromis si l'on savait ce qui s'est passé un certain soir de novembre dans les bois de Versailles.
    François dressa l'oreille, impatient de connaître la teneur du chantage mené contre Gondi qui expliquerait le meurtre de Violette et l'enlèvement de Nolwenn. De le voir suspendu à ses lèvres comblait d'aise Mizgin qui avait pris un plaisir infini à l'obliger à écouter patiemment toutes ses explications avant de livrer le fin mot de l'histoire.
    – Continuez je vous en prie…
    – Rien ne me ferait plus plaisir. Ai-je votre parole que vous honorerez votre dette ?
    – Ma parole de gentilhomme, répliqua François avec conviction.
    – Quelle ardeur, Chevalier, votre épouse a beaucoup de chance assurément, dit-elle tranquillement, éprouvant une satisfaction perverse non dissimulée à le faire attendre. Assez joué, je vais vous dire ce que vous voulez savoir. Ce fameux soir de novembre, Gondi s'est battu en duel avec un jeune aristocrate à peine débarqué de sa province qui avait eu l'audace de le souffleter en public pour une peccadille. L'eût-il voulu que l'affront était ineffaçable. Tout Cours-la-Reine y avait assisté et chacun savait que malgré la loi cela se résoudrait l'épée à la main. Et ce fut le cas dans les formes de l'art, en présence de témoins. Paul a essayé de ne faire que blesser le freluquet, hélas son offenseur y a mis une telle hargne que cela a été impossible. Il a utilisé une de ses bottes secrètes et son adversaire a eu la gorge transpercée.
    Mizgin s'interrompit pour se resservir un peu de thé qu'elle se mit à boire lentement. François, que son petit jeu agaçait souverainement, lui saisit le verre des mains et le reposa vivement sur le plateau en agrippant son épaule avant de hausser le ton :
    – Allons Madame, cessez ce manège, me direz-vous