Le jeu de dupes
rien à perdre. Et si la duchesse de Chevreuse est derrière cette sombre affaire, elle devra en répondre. Je ne suis pas disposé à la moindre mansuétude à son égard.
Belfond soupira, la prudence et la patience ne faisant définitivement pas partie des vertus cardinales des Rohan Montauban.
– Soyez sur vos gardes. C'est une femme extrêmement dangereuse. Gardez à l'esprit qu'elle a failli vous détruire…
Un coup d'œil à François le convainquit qu'il parlait à un mur.
– Je dois rentrer assurer l'internat, soupira-t-il. Si Malo est prêt, je le raccompagne.
Ils se dirigèrent vers le vestibule.
– Vous m'obligeriez en le faisant. Dieu vous garde, mon ami.
François monta rejoindre son père dans ses appartements, croisant Malo, ballot sur l'épaule, dans l'escalier.
– Ton professeur t'attend. As-tu dit au revoir à Louise ?
L'adolescent acquiesça. Il aurait voulu qu'on lui adresse des paroles de soutien mais accepta pleinement de ne pas en recevoir. François le vit disparaître dans le corridor avec un pincement au cœur :Malo avait perdu l'innocence de l'enfance, après cette tragédie il ne serait plus jamais le même et le gentilhomme savait combien il payait cher son passage à l'âge adulte.
1 Tuer un enfant, mon Dieu !
2 Créature sulfureuse.
3 Bonne chance !
11
Début mai 1651
François admirait d'un œil distrait la table fastueusement dressée pour le souper sous la férule de Louise avec sa nappe brodée de soie et de fils d'or sur laquelle brillait la vaisselle en argent des grandes occasions où se réfléchissaient les rayons du soleil de cette magnifique fin de journée printanière. Derrière chaque chaise à bras recouverte d'une housse délicatement ouvragée, un valet en livrée s'apprêtait à prendre position afin de devancer le moindre désir des convives réunis pour ce repas très spécial.
La pièce était calme comparée à l'effervescence qui régnait en cuisine, avec une Louise exceptionnellement pointilleuse envers son chef qui avait d'habitude carte blanche pour les régaler de ses mets réputés. Le pauvre cuisinier ne se remettait pas d'avoir vu toutes ses suggestions de menu refusées par la jeune femme exigeant des plats inoubliables pour fêter l'anniversaire de son père. Elle était revenue la veille tout excitée avec le dernier ouvrage du grand François Pierre de La Varenne, chef du marquis d'Uxelles, Le cuisinier François , décidée à suivre avec application ses préceptesmettant en valeur les beaux produits du sol français en instaurant une gastronomie inventive mais codifiée.
Le cheveu en bataille, les joues rougies par la proximité des fourneaux, la maîtresse de maison surveillait elle-même la confection de la fameuse sauce béchamel portant le nom du marquis auquel elle était dédiée tout en goûtant les différents potages qui seraient servis en entrée dont le fameux « à la Reine » à base d'amandes, de perdrix et de chapon rôti. Satisfaite, elle vérifiait l'assaisonnement des salades qui accompagneraient les filets de chevreuil et poulardes farcies en soupirant d'aise de voir le repas bientôt prêt sous l'œil courroucé de son employé qui, mâchoires serrées, appréciait très modérément son immixtion dans son travail. Louise voulait à tout prix faire plaisir à son père et, l'art culinaire faisant encore partie de ses petits bonheurs quotidiens, elle ne ménageait pas ses efforts, craignant que cet anniversaire soit le dernier pour Henri de Rohan Montauban. Après d'ultimes recommandations qui furent accueillies avec un enthousiasme modéré, elle se dépêcha de monter à l'étage pour enfiler la dernière création de sa couturière, Madame Martinière, et vérifier que son père, laissé aux bons soins de Gervais, serait également habillé à l'heure prévue. François la vit passer en coup de vent, l'air enjoué, tandis qu'il rejoignait Arnaud dans la bibliothèque.
– Je crois que nous n'allons pas tarder à nous mettre à table. Louise ressemble à un général ayant passé ses troupes en revue sur le champ de bataille.
Arnaud sourit.
– Malgré les malheurs qui nous touchent, elle tient à montrer à votre père son attachement en ce jour particulier. Tu la comprends, n'est-ce pas ?
– En douterais-tu ? Son état de santé s'aggrave et nous devons profiter de sa présence quelles que soient les circonstances.
Arnaud approuva en hochant la tête puis il changea de sujet :
– Ce matin
Weitere Kostenlose Bücher