Le jour des barbares
peu à peu par les flèches
ennemies. Les Romains étaient épuisés, tourmentés par la soif et la chaleur, et
ils combattaient maintenant, en piétinant leurs camarades morts ou blessés, sur
un terrain devenu glissant à cause de tout le sang répandu. Ils repoussèrent
une nouvelle charge, puis encore une autre, et le moment vint où ils furent
pris de panique et commencèrent à s’enfuir.
12.
Lorsque la cavalerie de la garde impériale fut mise en
déroute, Valens se retrouva pratiquement seul avec ses généraux. Et lorsqu’il
comprit que la défaite était certaine, il se réfugia au milieu des rares
régiments d’infanterie qui avaient conservé un minimum de cohésion et
essayaient de se retirer en bon ordre, les Lanciarii et les Mattiarii. Victor, le Sarmate, commandant de la cavalerie, rejoignit le régiment des Batavi qui avait été laissé en réserve, essaya de les convaincre de s’avancer avec lui
pour porter secours à l’empereur, mais les Batavi n’avaient que trop
bien saisi la situation : ils refusèrent de le suivre et s’enfuirent à
leur tour. Alors Victor estima qu’il en avait fait assez pour ce jour-là, et ne
pensa plus qu’à sauver sa peau.
De nombreux autres généraux, voyant que la bataille était
perdue, quittèrent les lieux, et, comme ils avaient de bons chevaux et des
hommes d’escorte bien payés, ils purent se mettre en sûreté. Parmi eux se
trouvait Richomer qui, quelques heures plus tôt, s’était offert comme otage
pour faire démarrer les négociations de paix, et ce Saturninus qui, l’année précédente,
avait dirigé les opérations contre les Goths dans les Balkans. Mais pour ceux
qui n’avaient pas de cheval, il n’y avait pas d’espoir. Dans les batailles de l’Antiquité,
c’était là le moment où les vaincus subissaient les plus lourdes pertes, et
celle-ci ne fit pas exception. Tant qu’il resta un peu de lumière, les Goths
poursuivirent les fuyards, massacrant tous ceux qu’ils pouvaient rattraper, en
n’épargnant ni ceux qui se rendaient ni ceux qui essayaient de résister. Heureusement
pour les Romains, le soir tombait déjà quand la déroute commença, et la poursuite
ne dura pas longtemps car c’était une nuit sans lune. Mais la plupart des vétérans
de l’armée d’Orient perdirent la vie sur le champ de bataille, avec plusieurs
de leurs généraux : notamment Trajanus, qui avait commandé les premières
campagnes contre les Goths, deux ans auparavant, et Sébastianus, qui les avait
combattus avec tant de succès au cours des derniers mois. De très hauts
fonctionnaires de la cour impériale moururent également, comme Valérianus, responsable
des chevaux de l’empereur, et Equitius, administrateur du palais, celui-là même
qui, quelques heures plus tôt, avait refusé de partir en otage chez les
barbares parce que c’était trop dangereux. Trente-cinq officiers supérieurs, commandants
de régiments et membres de l’état-major impérial, et les deux tiers environ des
vétérans que Valens avait fait venir de toutes les garnisons de l’empire, restèrent
sur le terrain.
Et Valens, justement, que lui arriva-t-il ? Il fut probablement
atteint par une flèche pendant qu’il se trouvait au milieu des soldats, alors
qu’il faisait déjà nuit, sans quoi quelqu’un s’en serait aperçu. Il n’est pas
étonnant qu’il n’ait pas été reconnu, nous dit Ammien, parce qu’après la
bataille, des Goths continuèrent pendant plusieurs jours à rôder sur les lieux,
dépouillant les cadavres ; et lorsque les paysans des environs osèrent
enfin venir enterrer tous ces morts, le cadavre de l’empereur devait être
méconnaissable. Quelque temps plus tard, une histoire circula dans l’empire, et
Ammien la raconte pour faire son devoir de chroniqueur, sans la considérer, semble-t-il,
comme très crédible. Selon cette version, Valens, blessé, avait cherché refuge
dans un édifice rural – une ferme ou une tourette – avec ses gardes du corps et
quelques eunuques de la cour qui n’avaient pas voulu l’abandonner. Quand les barbares
arrivèrent, les Romains se barricadèrent à l’intérieur, refusant de se rendre. Les
ennemis auraient pu les ignorer et passer leur chemin, mais quelqu’un commença
à leur lancer des flèches depuis le premier étage de l’édifice. Alors les Goths,
furieux, entassèrent des fagots et de l’herbe sèche et mirent le feu au
bâtiment, brûlant vifs tous ceux qui s’y trouvaient,
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