Le jour des barbares
personne discuter avec lui ; mais il voulait qu’en échange un
Romain de haut rang vienne dans le campement goth, pour être certain qu’on ne
lui jouerait pas un mauvais tour. Si nous nous rappelons que Fritigern avait
déjà échappé une fois, par miracle, au fameux banquet auquel l’avait invité
Lupicinus et où les Romains avaient essayé de l’éliminer, sa prudence ne paraît
pas déraisonnable ; en tout cas, ce retard supplémentaire ne suffit pas à
nous assurer qu’il méditait déjà une trahison. D’ailleurs, Valens et ses
conseillers, quand un guerrier goth revint les informer de cette condition
posée par Fritigern, ne la trouvèrent nullement inacceptable, et ils se mirent
aussitôt à discuter du choix de l’otage qui devait aller dans le camp ennemi.
Valens proposa d’abord un membre de sa famille, Equitius ;
c’était un haut fonctionnaire qui occupait la charge d’administrateur du palais
impérial, et tous les participants furent aussitôt d’accord, très soulagés, probablement,
de ne pas avoir eux-mêmes été choisis. Mais Equitius avait déjà été une fois
prisonnier des Goths, était parvenu à s’évader, et il avait gardé un tel
souvenir de cette expérience que personne ne put le convaincre d’y retourner, pas
même l’empereur. Alors le Franc Richomer, commandant de la garde impériale d’Occident,
dit qu’il se portait volontaire, sans oublier d’ajouter une remarque
sarcastique sur le fait que c’était dans des circonstances comme celles-là qu’on
reconnaissait les hommes courageux, et qu’il était prêt à risquer sa vie pour
servir son empereur : en tant qu’otage ou sur le champ de bataille, cela
ne faisait aucune différence. Il fallut toutefois un peu de temps pour que Richomer
soit prêt. Il devait en effet emporter avec lui les insignes de son rang et les
preuves de son appartenance à une noble famille franque, sans quoi les Goths auraient
pu penser qu’on essayait de les tromper et que l’empereur leur envoyait un
individu quelconque déguisé en grand personnage.
Comme on le voit, la confiance ne régnait guère entre les
belligérants. Jusqu’au bout, toutefois, on a l’impression que – dans le camp
romain, du moins – tout le monde essayait honnêtement de faciliter les choses
et d’arriver pour de bon à un accord de paix. Il est vrai que c’est un auteur
romain, notre bon Ammien Marcellin, qui nous raconte cela. Si nous possédions
un compte rendu écrit, mettons, par un prêtre goth, l’affaire pourrait nous
apparaître sous un autre jour. L’après-midi était déjà bien avancé, les Romains
étaient sous les armes depuis l’aube et n’avaient rien mangé de toute la
journée ; mais ils continuaient à taper sur leurs boucliers et à menacer
les ennemis à gorge déployée. Richomer partit sur son cheval pour servir d’otage
dans le campement des Goths, afin que les tractations puissent vraiment
commencer.
9.
Lorsque le comte Richomer franchit les lignes romaines, il
ne restait plus que quelques heures avant la tombée de la nuit ; et tout
le monde, chez les Romains du moins, devait être persuadé qu’il n’y aurait pas
de bataille ce jour-là. Les Goths avaient insisté pour négocier, et Valens, grâce
à la lettre secrète de Fritigern, pensait que leurs chefs n’avaient pas l’intention
de lui jouer un mauvais tour ; certes, il faudrait convaincre le gros des
troupes gothiques d’accepter de se rendre, ce qui ne fait jamais plaisir à personne,
mais l’empereur pouvait offrir des conditions généreuses, et les chefs expliqueraient
à leurs hommes que c’était la seule chose à faire.
À cette heure, les Goths n’étaient plus retranchés derrière
leur barricade de chariots. Depuis que les Romains s’étaient rangés en
formation de bataille à quelques centaines de mètres de distance, ils étaient
sortis et avaient pris position devant les chariots, sur les collines. Dans la
technique de combat des nomades, en effet, le cercle des chariots faisait
office de campement fortifié, où les femmes et le butin pouvaient être mis à l’abri
et où l’on pouvait se replier pour se défendre si les choses devaient mal
tourner ; mais la bataille se livrait au-dehors, en terrain découvert, et
l’objectif des défenseurs était précisément de maintenir l’ennemi le plus loin
possible des chariots.
C’est pourquoi les Goths, à l’approche de l’avant-garde de Valens,
durent sortir de l’enceinte
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