Le jour des barbares
et se poster devant les chariots. Abrités derrière
leurs boucliers de bois, ils supportèrent sans trop de gêne les premiers tirs
de harcèlement des archers romains. Lorsque les négociations commencèrent, ils
furent probablement soulagés, et la tension dut retomber quelque peu, mais tous
les guerriers restaient sur le qui-vive. Puis, brusquement, les choses se
précipitèrent. Ce fut la cavalerie de la garde impériale, semble-t-il – les
régiments d’élite des Scutarii, qui auraient dû faire montre d’un peu
plus de discipline –, qui donna le coup d’envoi. Telle ou telle unité s’était
peut-être un peu trop avancée, les Goths se crurent attaqués par traîtrise, et
les archers à cheval qui accompagnaient la cavalerie trouvèrent en face d’eux
des cibles si invitantes qu’ils ne surent sans doute pas résister à la
tentation et recommencèrent à décocher leurs flèches.
Le commandant des Scutarii s’appelait Bacurius ;
c’était l’un des nombreux officiers étrangers de l’armée impériale, un prince
du Caucase qui, par la suite, fit une belle carrière, mais qui, en cette circonstance,
ne sut pas contrôler ses hommes. Les cavaliers de la garde poussaient leurs
chevaux presque sous le nez des ennemis, et à la fin les barbares, exaspérés
par ces provocations, s’avancèrent en masse ; les cavaliers et les archers
romains, surpris, reculèrent en désordre, sous les yeux des soldats des deux
armées. Ce n’était qu’un incident circonscrit, mais il n’en fallait pas plus
pour faire remonter la tension : Richomer, qui avait presque atteint le
campement des Goths, comprit que, dans ces conditions, continuer d’avancer
signifiait vraiment risquer sa peau, et il fit marche arrière. La négociation n’avait
pas encore réellement commencé, mais désormais elle était morte et enterrée.
10.
Les deux armées se faisaient face, et dans les deux camps
les hommes étaient épuisés et tendus, après toute une journée passée dans une
alternance d’espoirs et de déceptions. C’est à ce moment précis que la
cavalerie des Goths, des Huns et des Alains, partie quelques jours plus tôt à
la recherche de fourrage, surgit entre les collines, de façon complètement
inattendue – du moins pour les Romains. Les cavaliers avaient probablement
descendu le lit de la Tundza, où il devait y avoir quelques centimètres d’eau
en cette saison sèche ; ils avaient donc pu s’approcher sans soulever de
poussière, et en suivant le lit encaissé du fleuve ils réussirent à arriver
tout près des troupes romaines avant qu’on ait pu constater leur présence. Cela
ne permet pas de conclure qu’il s’agissait d’une opération concertée, et que
les tentatives de négociation de Fritigern n’étaient qu’un artifice servant à
gagner du temps. La cavalerie était certainement revenue en toute hâte vers le
campement dès qu’elle s’était rendu compte de l’approche des troupes romaines ;
et lorsqu’elle déboucha sur les lieux, elle vit les Goths amassés pour défendre
leur enceinte, les Romains déployés en ordre de bataille devant eux, et les
cavaliers ne pensèrent à rien d’autre qu’à attaquer. Ils heurtèrent de plein
fouet la cavalerie romaine qui s’était avancée pour protéger l’aile gauche, et
en un instant la poussière soulevée par les sabots des chevaux s’éleva en un
épais nuage, dissimulant toute la scène.
Pris au dépourvu, les cavaliers romains reculèrent, butant
sur les premières rangées de fantassins. Mais l’infanterie était solide, composée
de professionnels ; les hommes tinrent bon et se mirent à crier tous
ensemble. La cavalerie ébranlée réussit à se réorganiser et, soutenue par les
cris d’encouragement des fantassins, reprit l’initiative. Certaines unités, appartenant
sans doute, elles aussi, à la garde impériale, qui était formée de troupes d’élite
et possédait l’équipement le plus lourd et les meilleurs chevaux, réussirent à
repousser les ennemis qu’ils avaient en face d’eux. Sous le choc, les Goths
furent rejetés en arrière, et là, sur la gauche, la cavalerie romaine parvint à
s’avancer jusqu’à la barricade des chariots.
Entre-temps, les fantassins des deux armées étaient entrés
en contact sur toute la ligne de front : deux masses d’hommes couverts de
fer, s’efforçant en hurlant d’écraser l’ennemi sous le poids de leurs boucliers
et de le faire reculer, donnant des
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