Le jour des barbares
coups d’épée et de lance dans les
interstices entre les boucliers, tandis que les archers et les frondeurs tiraient
à bout portant, déployés derrière la ligne de l’infanterie lourde du côté
romain, postés sur la barricade de chariots du côté goth.
S’il y avait eu des troupes de réserve, ou si les généraux
avaient été à même de prendre une décision au milieu du chaos d’une bataille
qui s’était déclenchée presque par hasard, l’assaut de la cavalerie romaine sur
le flanc gauche aurait pu être épaulé, l’enceinte des chariots défoncée et les
Goths mis en déroute. Ce fut exactement le contraire qui arriva. La partie de
la cavalerie qui avait repoussé les ennemis et avait réussi à atteindre les chariots
s’aperçut à un certain moment, horrifiée, qu’il n’y avait plus personne
derrière elle. Le reste de la cavalerie romaine, en effet, après que la bataille
se fut fractionnée en une infinité de combats singuliers, avait fini par être
vaincu, et la cavalerie des Goths et des Alains revenait maintenant sur ses pas,
attaquant les Romains sur les côtés et à revers. En un éclair, les régiments de
cavalerie cuirassée qui avaient combattu le plus durement et étaient allés le
plus loin furent renversés par les cavaliers ennemis, écrasés contre la
barricade des chariots et taillés en pièces, dans un capharnaüm d’hommes et de
chevaux morts et mutilés.
11.
Les armées antiques se déployaient toujours avec l’infanterie
au centre et la cavalerie sur les côtés. En général, la cavalerie était peu
nombreuse, et toute son énergie était consacrée à combattre la cavalerie
ennemie, si bien que l’infanterie pouvait livrer sa propre bataille sans presque
avoir à s’en soucier. Les pires désastres de l’histoire militaire romaine
correspondent aux rares cas où les Romains s’étaient trouvés face à un ennemi
capable de rassembler sur le champ de bataille une cavalerie prépondérante et s’étaient
laissé encercler : c’est ce qui s’était produit à Cannes contre Hannibal, et
le même scénario avait eu lieu à Carres ( Carrhæ ), en Mésopotamie, où Crassus,
le rival de César et de Pompée, avait été vaincu et tué par les Parthes. Maintenant,
la cavalerie romaine n’était plus aussi faible ; l’armée impériale s’était
équipée tout exprès pour combattre des ennemis pourvus d’une importante
cavalerie et sachant s’en servir. Pourtant, du moins à Andrinople, cela ne
suffit pas : la cavalerie des barbares était trop nombreuse, et surtout
elle était apparue par surprise, en ayant l’avantage du moment et du terrain. La
cavalerie romaine fut réduite en miettes « comme par l’écroulement d’un
énorme remblai ».
Alors la situation vécue bien des siècles plus tôt à Cannes
se reproduisit : l’infanterie, qui avançait malaisément, en remontant la
pente de la colline, vers les chariots, se rendit brusquement compte que sur
ses flancs et derrière elle il y avait désormais la cavalerie ennemie. Par
réflexe, les hommes commencèrent à reculer et à se serrer les uns contre les
autres pour s’éloigner du danger, finissant par former un bloc compact
entièrement recouvert par les boucliers.
« Nos fantassins », écrit Ammien Marcellin,
« restèrent sans protection, si étroitement entassés qu’on pouvait à peine
dégager son arme ou ramener les bras en arrière. Déjà un rideau de poussière
dérobait la vue du ciel, qui retentissait de clameurs terrifiantes. » Les
archers goths et huns tiraient dans le tas, mais ne pouvaient pas faire grand
mal à des soldats en armure, protégés par leurs grands boucliers de bois ;
c’est pourquoi la cavalerie se jeta dans la mêlée, persuadée qu’elle allait
piétiner tous les Romains et les hacher menu. L’infanterie romaine, toutefois, était
formée de vétérans décidés à vendre chèrement leur peau ; chaque fois que
la cavalerie chargeait, la masse des fantassins serrait les rangs et tenait bon.
On continua ainsi pendant quelque temps, mais la résistance ne pouvait pas
durer éternellement. L’infanterie était entraînée à combattre en ordre fermé, avec
la lance, mais après un aussi long combat la plupart des lances s’étaient
brisées, et il ne restait plus aux soldats que l’épée, qui n’est pas adaptée
pour se battre contre la cavalerie. Les boucliers aussi, qui étaient faits de
planches, finissaient par se rompre, démantelés
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