Le jour des barbares
catholique
quand on apprit que Valens était mort et que, par une cruelle ironie, il avait
été trucidé par des barbares qui professaient la même hérésie que lui.
Les chrétiens désapprouvaient la divination et les présages
qui, du moins officiellement, appartenaient à la tradition païenne, même si, en
réalité, tout le monde y croyait ; mais si les prédictions étaient faites
par de saints hommes et contenaient un avertissement moral, c’était une tout
autre affaire. Dans les milieux orthodoxes, après la bataille, une rumeur se
répandit : au moment où Valens s’apprêtait à partir de Constantinople pour
aller affronter les Goths, un moine nommé Isaac, qui disait aux puissants leur
quatre vérités et n’avait peur de rien, s’était présenté devant l’empereur et
lui avait tenu à peu près ce discours : « Le moment est venu de
cesser de défendre les hérétiques et de persécuter les orthodoxes ! Rends
aux catholiques les églises que tu as confisquées pour les donner à leurs
ennemis, et tu remportas la victoire. » Outré, Valens avait fait jeter le
moine en prison jusqu’à son retour, se réservant de décider tranquillement, une
fois la guerre finie, quel serait le meilleur châtiment. Mais le moine répondit :
« Si tu ne restitues pas les églises, tu ne reviendras pas. »
Il est difficile de dire si cette histoire contient une part,
même minime, de vérité. En tout cas, dès qu’ils furent certains que Valens, effectivement,
ne reviendrait jamais, les catholiques commencèrent à la diffuser comme une
parole d’évangile. La mort de l’empereur devenait un jugement de Dieu. L’évêque
de Milan, saint Ambroise, s’adressa à l’empereur d’Occident, Gratien, en l’assurant
que Dieu lui donnerait la victoire contre les Goths, assimilés aux peuples
bibliques de Gog et Magog : la foi orthodoxe, en effet, garantissait le
succès, tandis que la ruine de Valens était une juste punition des persécutions
infligées aux catholiques.
On aimerait savoir comment les ariens prirent la chose. Malgré
le fait qu’ils étaient très nombreux à cette époque, peut-être même
majoritaires dans une grande partie de l’empire d’Orient, nous ne le savons pas
et ne le saurons jamais, puisque, comme chacun sait, c’est la confession
orthodoxe qui a fini par s’imposer, et que les textes du parti arien à nous
être parvenus sont rares. Nous connaissons, en revanche, la réaction des païens :
ils accusèrent, comme on pouvait le prévoir, la nouvelle religion d’avoir
provoqué la colère des dieux, qui ne protégeaient plus l’empire. Qu’on ne
vienne pas nous dire, tonne le rhéteur Libanius, que les généraux étaient des
incapables ou les soldats des lâches ; nous devons au contraire célébrer
le souvenir de leur lutte, le courage avec lequel ils ont versé leur sang et
sont morts au combat. Leur valeur n’était pas inférieure à celle de leurs
ancêtres, et par amour de la gloire ils ont supporté la chaleur et la soif, le
feu et le fer, et ils ont préféré la mort à la honte. « Si l’ennemi les a
vaincus », conclut le vieux rhéteur grec, « je suis persuadé que c’est
à cause de la colère que les dieux ont conçue contre nous ».
4.
La défaite d’Andrinople fut donc un traumatisme pour le
monde antique. Ammien Marcellin clôt son ouvrage par le récit de cette bataille,
dont la valeur symbolique lui paraît décisive. La suite, dit-il, que quelqu’un
de plus jeune l’écrive, si cela lui chante ; mais il est clair que pour
lui l’histoire de l’Empire romain se termine là : Andrinople en est le
point final.
Les historiens modernes n’ont eu que trop tendance à
reprendre à leur compte ce point de vue. On sait que les dates emblématiques, marquant
de façon nette la fin d’une époque et le commencement d’une autre, ne sont pas
si nombreuses ; et quand ils en trouvent une qui paraît convenir, les historiens
ne la laissent pas passer. Les auteurs des siècles récents, qui ont modelé l’image
que nous nous faisons de l’Antiquité et du Moyen Âge, ont noté qu’Andrinople
avait tout ce qu’il fallait pour être une date de ce genre : c’était le
point de départ d’une crise qui allait entraîner la disparition de l’Empire
romain d’Occident. Avant cette date, l’empire avait déjà connu des désastres
semblables, mais il s’en était toujours remis ; après les invasions
barbares et les guerres
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