Le jour des barbares
lui
faisait prendre ses quartiers dans telle ou telle partie de l’empire, avec
obligation pour les habitants des provinces de pourvoir à sa subsistance. Autrement
dit, les mercenaires étaient installés dans les maisons des civils et pouvaient
réquisitionner de la nourriture. S’ils devenaient un peu trop violents, il
fallait le supporter sans rien dire, car ces bandes de mercenaires étaient
parfois les seules troupes romaines présentes sur les lieux, et personne ne
pouvait les forcer à bien se comporter.
Quand des régiments romains et des bandes mercenaires étaient
stationnés dans la même zone, la situation n’était pas meilleure, parce qu’il y
avait toujours des risques d’incidents : les soldats romains étaient
jaloux des mercenaires barbares mieux payés qu’eux, et il arrivait que les
commandants romains interviennent pour défendre la population contre les
exactions des mercenaires, allant parfois jusqu’à les massacrer. Dans de tels
cas, le gouvernement prenait de sévères dispositions en faveur des mercenaires,
destituait les officiers coupables et les envoyait devant les tribunaux, car, même
si les militaires ne le comprenaient pas, les barbares devaient être bien
traités : l’empereur n’était pas assez fort pour s’en débarrasser – au
contraire, il avait besoin d’eux. Après la défaite d’Andrinople, la conscription
marchait encore plus mal qu’auparavant, la population de l’empire ne voulait
pas aller se battre, et les mercenaires barbares étaient une solution commode :
ils offraient des régiments déjà prêts, aguerris, ne nécessitant pas d’encadrement ;
il suffisait de les payer et de leur fournir l’annone, c’est-à-dire des
provisions de vivres, aux frais des contribuables. Théodose ne pouvait plus s’en
passer : au cours de son règne, il dut faire face à deux usurpateurs, aussi
dangereux l’un que l’autre, et il ne put en venir à bout que parce qu’en plus
de l’armée régulière il avait à ses côtés les mercenaires barbares.
À l’époque, tout le monde sait pertinemment que les barbares
sont devenus indispensables ; les chrétiens y voient la confirmation que
le monde s’approche de sa fin. Saint Jérôme dénonce le recours des empereurs
aux bandes mercenaires, comparant l’Empire romain à un colosse aux pieds moitié
de fer, moitié d’argile : « De même en effet qu’autrefois rien n’était
plus fort et plus solide que l’Empire romain, aujourd’hui, à la fin des temps, rien
n’est plus faible, dès lors que, tant dans les guerres civiles que contre
divers peuples, nous avons besoin de l’aide d’autres peuples barbares. »
Les empereurs, qui étaient avant tout des militaires, tendaient
plutôt à considérer avec satisfaction le surcroît de force que les mercenaires
mettaient à leur disposition. Saint Ambroise rapporte une conversation avec
Magnus Maximus, proclamé empereur par l’armée en Gaule, qui se préparait à affronter
près de Milan un des généraux de Théodose, venu le combattre avec des troupes
composées en grande partie de mercenaires goths. Ambroise raconte que Magnus
Maximus en était presque vexé : vous rendez-vous compte, s’était-il
exclamé, on envoie contre moi des barbares, « comme si je n’en avais pas, moi
aussi, à déployer sur le champ de bataille, alors que j’ai à mon service
plusieurs milliers de barbares qui reçoivent de moi l’annone » ! Il
était devenu nécessaire d’avoir à sa disposition des barbares si l’on voulait
prendre le pouvoir et le conserver. Dans certaines régions de l’empire, où les
mercenaires avaient complètement supplanté les troupes régulières, le langage
même se modifiait pour enregistrer le changement : en syriaque, à partir
de la fin du IV e siècle, on dit « un Goth » pour dire
« un soldat ».
2.
Il n’est pas étonnant que, dans les dernières années du
règne de Théodose, il se soit formé dans les groupes dirigeants de l’empire un
courant qui ne voulait plus entendre parler des barbares. Jusqu’alors, tous
ceux qui, d’une façon ou d’une autre, étaient proches du gouvernement, ou qui
avaient étudié dans de bonnes écoles, étaient convaincus que l’intégration des
barbares était possible et constituait un fait positif. À un certain moment, en
revanche, on commence à voir des gens qui ne sont pas d’accord. Le plus célèbre
est un intellectuel d’Afrique que nous avons déjà
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