Le jour des barbares
plus radicale. L’empire fut divisé entre ses deux
fils, Arcadius et Honorius ; mais l’un était un adolescent et l’autre un
enfant. C’étaient deux souverains faibles, sous la coupe des eunuques et des
généraux barbares, et certains propos qu’il aurait été impossible de tenir sous
le règne de Théodose étaient désormais énoncés à voix haute. Synésius s’adresse
à Arcadius et lui dit tout net : c’est ton père qui a mené l’empire à sa
ruine ; il pouvait mettre tous ces Goths à genoux, au lieu de quoi il les
a relevés et leur a accordé une telle place que nous ne sommes plus maintenant
que des jouets entre leurs mains.
Les historiens ont parlé d’une réaction, voire d’un parti
antibarbare, regroupant les sénateurs et les intellectuels qui voyaient les
choses comme Synésius. La réalité n’est peut-être pas aussi simple : la
politique à la cour impériale était tortueuse, pleine de coups bas, et réclamer
le retour au bon vieux temps où certaines choses n’arrivaient pas pouvait se
révéler utile dans la lutte pour le pouvoir. Le phénomène dont nous parlons n’est
pas une réaction raciste à proprement parler : tout le monde est d’accord
sur le principe de l’assimilation des barbares par l’empire, mais il faut le
faire de façon sensée, en évitant de leur octroyer trop de puissance alors qu’ils
ne sont pas encore civilisés, car on risque alors d’obtenir l’effet inverse, c’est-à-dire
d’abdiquer la mission civilisatrice de l’empire. Mais au bout du compte, certaines
interventions au Sénat, certains discours tenus devant l’empereur, ont surtout
pour fonction de mettre en difficulté les politiciens ou les généraux du parti
adverse et d’en soutenir d’autres, éventuellement d’origine barbare eux aussi. Le
fait est qu’à l’époque de Théodose et de ses fils, on voit émerger de nombreux
généraux goths : auparavant, les barbares qui faisaient carrière étaient
plutôt ceux qui venaient du Rhin ; ces Francs et ces Alamans étaient
désormais concurrencés par les Goths, et cela modifiait les rapports de forces
entre les différentes cliques, ou les divers groupes de pression, en lice à la
cour impériale.
4.
L’ascension des généraux barbares au temps de Théodose et de
ses successeurs fut l’issue naturelle d’un processus d’absorption d’immigrés
déjà commencé depuis longtemps dans l’empire. Le désastre d’Andrinople et les
accords conclus par Théodose avec les Goths, au cours des années qui suivirent,
accélérèrent ce processus, le rendirent plus visible, suscitant des réactions
alarmées dans certains milieux, mais rien de plus. D’ailleurs, l’empire
continuait d’être un melting-pot , et il ne faut pas non plus exagérer le
caractère « barbare » de ces immigrés, surtout lorsqu’il s’agit de
gens qui faisaient carrière. Nous continuons à les appeler des Goths parce que
nous sommes obsédés, plus encore que les Anciens, par l’identité ethnique, mais
en réalité ces Goths se romanisaient, ou se grécisaient, rapidement. C’est
certainement ce qui a dû se passer dans le cas de Fritigern, qui avait déjà
toutes les qualités nécessaires pour devenir un excellent général romain, même
si nous ne savons plus rien de lui après le traité qu’il conclut avec Théodose.
Deux décennies plus tard, vers l’an 400, nous voyons un général fils d’immigrés
goths, Fravitta, jouer un rôle politique important à Constantinople ; d’après
les témoignages de l’époque, c’était « un barbare par la naissance, mais
pour tout le reste un Grec, non seulement dans ses mœurs, mais aussi dans son
caractère et sa religion ».
Voici encore un autre de ces généraux d’origine gothique, nés
à l’étranger mais qui ont vécu dans l’empire depuis leur jeunesse et ont fait
carrière à son service ; un de ces barbares devenus citoyens romains et
officiers de l’armée impériale qui, quoi qu’en ait dit Synésius, étaient
certainement aussi à l’aise en toge que sous leurs fourrures natales. Ce
personnage, tout le monde le connaît, au moins de nom : c’est Alaric, l’homme
qui en 410 dirigea le sac de Rome par les Goths. Les maigres souvenirs d’école
que nous pouvons avoir à son sujet ne nous permettent pas de comprendre qui il
était vraiment ; on se l’imagine comme le roi des Goths, un chef barbare
coiffé d’un casque surmonté de cornes, venu envahir
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