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Le jour des barbares

Le jour des barbares

Titel: Le jour des barbares Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Alessandro Barbero
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l’empire et sa
capacité d’assimilation est mobilisée pour démontrer que Théodose a fait le bon
choix. Entendons-nous bien : ce ne sont pas seulement des discours creux ;
cette capacité d’assimilation, dans une certaine mesure, existe réellement. L’empire
absorbe les barbares pour de bon – même si, tandis qu’il les absorbe, inévitablement,
il change.

6.
    L’exemple le plus parlant de la façon dont l’armée romaine
absorbait et intégrait les Goths nous est fourni par un groupe de stèles
retrouvées au début du XX e  siècle, dans un cimetière
paléochrétien près de Portogruaro, en Vénétie, où s’élevait autrefois une cité
romaine au nom de bon augure : Concordia. Bon nombre de ces stèles – près
de quarante – sont celles de soldats de l’armée de Théodose, des soldats issus
de beaucoup de régiments différents, si bien qu’on s’est demandé pourquoi ils
étaient tous enterrés là ; puis on a remarqué que vers la fin de son règne,
en 394, Théodose avait livré une grande bataille plus ou moins dans cette zone,
contre l’un des sempiternels usurpateurs, et une partie de l’armée avait dû
stationner pendant une longue période près de Concordia, ce qui explique la
nature de ces stèles. Il va de soi que tous les soldats mentionnés sur ces
stèles sont chrétiens. Les appellations imagées des régiments sont typiques de
l’empire tardif – Bracchiati, Armigeri –, et beaucoup portent les noms
de tribus barbares : il y avait les Eruli seniores, et nous
retrouvons aussi une de nos vieilles connaissances, les Batavi, qui
étaient de réserve le jour de la bataille d’Andrinople et s’en étaient tirés
parce qu’ils s’étaient enfuis à temps.
    La lecture de ces stèles donne l’impression que l’armée
était une société très compacte dont tous les membres étaient unis par des
liens de camaraderie ou de parenté, et même par des liens religieux. Dans de
nombreux cas on lit que la stèle du mort a été payée par ses frères d’armes, ou
par ses compatriotes servant dans le même régiment. Souvent les épouses sont
également mentionnées, et l’on comprend que cet univers militaire était en
réalité un microcosme où les hommes vivaient avec leurs familles. Ce sont d’ailleurs
des stèles au ton très solennel et pieux, avec toutes ces dédicaces et ces louanges
« à l’excellent collègue », « à la sainte église de la sainte
cité de Concordia ». Et si l’on jette un œil sur les noms des soldats, on
s’aperçoit que la plupart sont barbares. Ils se prénomment tous Flavius : c’était
le nom de famille des empereurs à partir de Constantin, porté par tous les
immigrés ayant reçu la citoyenneté romaine ; après Flavius, presque tous
ces soldats ont un nom germanique, et dans bien des cas gothique, comme Flavius
Andila, qui était sous-officier au sein des Bracchiati , ou Flavius Sindila,
qui servait dans le régiment des Eruli. Nous voyons ici le côté positif
de l’intégration, la démonstration du fait que la politique de Théodose pouvait
réussir : le Goth devenait un soldat romain, jurait fidélité à l’empereur,
embrassait la religion catholique, apprenait à respecter la discipline, à
apprécier le salaire et la retraite en fin de carrière. L’armée, qui était une
communauté, semblait faite sur mesure pour gérer ce processus d’intégration. Elle
absorbait des barbares, les moulinait et les transformait en vétérans romains, de
ceux que les empereurs, quand ils s’adressaient à eux dans les discours publics,
appelaient « compagnons d’armes », et qui étaient le véritable pilier
de l’empire.

XII
LA RÉACTION ANTIBARBARE

1.
    Ce serait trop beau si nous n’avions à évoquer que la face
positive de la médaille ; si tout ce qu’il nous restait de la politique de
Théodose étaient les discours des rhéteurs célébrant l’intégration, et les
épitaphes des guerriers goths devenus de braves soldats chrétiens. Mais il y
avait aussi un revers, et il faut le prendre en considération.
    Comme nous l’avons vu plus haut, tous les combattants goths
n’étaient pas enrôlés dans l’armée régulière. Dans de nombreux cas, les accords
passés avec leurs chefs prévoyaient qu’ils seraient engagés comme mercenaires ;
ce qui veut dire qu’ils constituaient toujours des bandes autonomes et ne devenaient
pas des soldats romains. Le gouvernement acceptait la bande en bloc et

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