Le jour des barbares
était l’un des
généraux ayant échappé de peu au massacre. Saturninus négocia un traité qui, au
moins en apparence, satisfaisait tout le monde, et revint triomphalement à
Constantinople ; l’année suivante, en récompense, l’empereur le nomma
consul. Le rhéteur Thémistius – celui-là même qui, quelques années plus tôt, avait
complimenté Valens d’avoir conclu la paix avec les Goths – fut chargé de faire
l’éloge de Saturninus, et dans son discours on entend une nouvelle fois vibrer,
comme si rien n’avait changé, cette rhétorique humanitaire que nous connaissons
bien. Thémistius se réjouit que le gouvernement ait su trouver une solution
politique au problème, en accueillant les Goths pacifiquement au lieu de
chercher à les anéantir. « La philanthropie l’emporte sur la destruction. Vaudrait-il
mieux remplir la Thrace de cadavres plutôt que de paysans ? Déjà les
barbares transforment leurs armes en bêches et en faux, et cultivent les champs. »
C’est l’idéologie du melting-pot, selon laquelle les barbares sont voués
à s’intégrer dans l’empire ; nous en avons déjà accueilli beaucoup, dit
Thémistius, et leurs descendants « ne peuvent plus être appelés barbares ;
ils sont entièrement romains, paient les mêmes impôts que nous, servent avec
nous dans l’armée, sont administrés selon le même statut que les autres, soumis
aux mêmes lois. Et il en ira bientôt de même pour les Goths. »
5.
La solution de Théodose au problème des Goths fut
pratiquement celle qui était restée si longtemps lettre morte, et qui à
plusieurs reprises avait été sur le point de se concrétiser, même si ensuite, à
chaque fois, les choses étaient allées de travers. Valens avait fait entrer les
Goths dans l’empire en songeant à les intégrer dans l’armée ; l’inefficience
et la corruption avec lesquelles les autorités militaires avaient traité les
réfugiés les avaient poussés à se révolter, mais Valens était toujours resté
ouvert à l’idée d’une solution négociée et, quelques heures à peine avant de se
faire tuer sur le champ de bataille d’Andrinople, il discutait avec les
émissaires de Fritigern pour tenter de trouver une issue pacifique au conflit. Théodose,
en 382, fit exactement ce qui aurait déjà pu être fait six ans auparavant, à
ceci près que tout ce qui était advenu dans l’intervalle ne pouvait pas être
rayé d’un trait de plume. On ne pouvait effacer des années de pillages et d’atrocités,
la destruction d’une armée, la mort d’un empereur, le siège de la capitale. Il
n’était plus aussi simple d’intégrer les guerriers goths dans l’armée impériale,
après tout ce qu’ils avaient fait ; et il était très difficile, après
Andrinople, d’expliquer aux populations civiles de l’empire qu’en réalité ces
Goths étaient des réfugiés qu’il fallait traiter avec humanité, une force de
travail utile.
Les groupes dirigeants de l’empire essayèrent pourtant de le
faire, et on ne sait s’il faut davantage admirer leur bonne volonté ou s’étonner
de leur cynisme. Pour les politiciens qui travaillaient aux côtés de Théodose, l’accueil
des Goths, malgré tout ce qui s’était passé, ne semblait poser aucun problème ;
les discours officiels et les vers des poètes de cour entonnent tous le même
air. Un rhéteur gaulois, Pacatus, s’enthousiasme pour tous ces nouveaux soldats
romains – des barbares, certes, mais qui ont un immense désir d’apprendre.
« Ô chose digne de mémoire ! Qui avait été, un temps, ennemi des
Romains, marchait sous des commandants et des étendards romains, suivait les
enseignes contre lesquelles il avait combattu, et remplissait en soldat les
cités qu’il avait d’abord vidées et dévastées en ennemi. Le Goth, le Hun et l’Alain
apprenaient à s’exprimer conformément au règlement, accomplissaient leurs tours
de garde et avaient peur d’être mal notés dans les rapports. » Le thème du
barbare qui jette sa fourrure, apprend à s’habiller comme il faut, à obéir aux
ordres et à respecter la discipline, est un lieu commun qui revient
continuellement chez les écrivains du temps de Théodose, et la signification en
est claire : remplacer les peaux de bêtes par des vêtements civilisés et
apprendre à vivre en se conformant à des règles, c’est ne plus être barbare et
devenir romain. Toute la rhétorique sur l’universalité de
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