Le jour des barbares
rencontré, Synésius, grand
propriétaire foncier et futur évêque. Durant les années qui suivent la défaite
d’Andrinople, sa colère ne cesse de croître ; il pense que l’empire est
très mal gouverné et ne se prive pas de le dire, et ce qui l’exaspère le plus
est précisément le pouvoir excessif des barbares. Non que Synésius soit raciste ;
il n’est pas opposé, sous certaines conditions, à l’emploi et à l’intégration
des barbares. Quand il parle de ses exploitations agricoles en Libye, continuellement
menacées par les incursions des Berbères, ses expressions les plus méprisantes
sont réservées aux soldats, censés défendre la population. Ce sont tous des
lâches, dit Synésius, leurs officiers sont tous corrompus et ne songent qu’à
leurs pots-de-vin ; mais heureusement un escadron de mercenaires huns est
arrivé dans la région. Voilà des gens qui ne plaisantent pas : ils
patrouillent dans le désert et pas un Berbère ne leur échappe. Synésius ne
tarit pas d’éloges envers eux. Ce sont peut-être des barbares, mais avec de
bons officiers à leur tête ce sont de vrais Romains. Le cas des Goths est très
différent. Nous avons commis une folie, dit Synésius, en laissant entrer dans l’empire
tous ces gens armés et en leur confiant la défense du pays. « Seul un fou
pourrait ne pas avoir peur en voyant que tous ces jeunes hommes, qui ont grandi
à l’étranger et continuent à vivre selon leurs habitudes, sont chargés de gérer
les affaires militaires dans le pays. »
La cible explicite des invectives de Synésius est Théodose, mort
depuis peu. Ces gens-là avaient encore les mains rouges de sang, déclare-t-il, et
il les a intégrés, leur a donné la citoyenneté, la terre et le commandement. Surtout,
Synésius ne digère pas que des officiers goths puissent faire carrière et exercer
de hautes fonctions, non seulement dans l’armée, mais aussi dans l’empire. Certes,
il y avait depuis longtemps des officiers d’origine barbare, même à des postes
de commandement, mais avant Andrinople personne ne s’en effrayait ; maintenant,
en revanche, un mouvement d’opinion se fait jour, qui considère que ce sont là
des ouvertures dangereuses. Synésius dessine un tableau très célèbre de ces
immigrés mal dégrossis se pavanant dans l’empire ; l’intellectuel chrétien,
imprégné cependant de culture philosophique païenne et conservant toute la
morgue d’un grand propriétaire terrien de lignée sénatoriale, en a par-dessus
la tête d’assister tous les jours au spectacle « d’un homme vêtu de peaux
de bêtes commandant à ceux qui portent la chlamyde, et d’un autre, venant d’ôter
la fourrure dont il était couvert, revêtant la toge et discutant de l’ordre du
jour avec les magistrats des Romains, tandis que le consul lui offre la place d’honneur
près de lui et que ceux qui y auraient droit restent derrière. Puis, sitôt
sortis du Sénat, ces gens réendossent leurs fourrures et, quand ils rencontrent
leurs pairs, se mettent à rire de la toge, disant qu’avec ce vêtement-là on n’arrive
pas à dégainer son épée. »
3.
La politique de compromis et d’assimilation pratiquée par
Théodose à l’égard des Goths suscita donc des réactions divergentes au sein des
groupes dirigeants romains. Beaucoup continuaient d’exalter la capacité qu’avait
l’empire universel de s’ouvrir vraiment à tous les hommes, et voulaient que l’empereur
se présente comme un père non seulement pour les Romains, mais pour tous les peuples.
D’autres, en revanche, objectaient qu’il était dangereux de faire entrer dans l’empire
autant d’immigrés en même temps, et qui plus est pour leur confier le secteur
le plus délicat : la défense. Un point incontestablement faible de la
politique de Théodose était que l’admission de tous ces soldats et mercenaires
goths avait eu lieu juste au moment où l’armée d’Orient était amoindrie par les
pertes essuyées à Andrinople, et où il fallait la reconstituer en toute hâte et
à tout prix. Le prix à payer, en effet, fut élevé : car l’empereur, s’il
voulait disposer d’une force militaire efficiente, ne pouvait pratiquement plus
se passer de ses Goths, et c’était là pour beaucoup de gens un signe de
fragilité intolérable, qui ne présageait rien de bon pour l’État romain.
Après la mort de Théodose, en 395, ces positions s’exprimèrent
sous une forme de plus en
Weitere Kostenlose Bücher